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La Patagonie chilienne, du front pionnier à l’ouverture internationale
Enjeux de gestion territoriale dans la région d’Aysén
(Hernan Escobar Zamora [1]) La région d’Aysén s’étire, du nord au sud, sur plus de 2 000 km, entre les 44e et 49e parallèles Sud. Au départ de Santiago, la capitale du Chili, il faut trois heures d’avion pour y accéder. Par la route ou la mer, la durée du voyage est bien plus longue : soit deux jours en passant par l’Argentine si on choisit la voie terrestre, soit en passant par les fjords et les canaux si on opte pour la voie maritime. Cette région s’insère dans un territoire plus vaste : la Patagonie chilienne. Depuis la régionalisation de 1976, elle a accédé au statut administratif de "région" [2] en prenant le nom, dans la nomenclature administrative chilienne, de Región General Carlos Ibañez del Campo ou de XIe región.
Elle possède les principales caractéristiques des territoires patagoniens chiliens : l’immensité, avec plus de 100 000 km² pour à peine 90 000 habitants (0,9 hab/km²) ; la présence humaine est réduite et très ponctuelle, deux villes de taille moyenne englobent plus de 60% de la population, Coyhaique et Puerto Aysén ; le caractère d’ultra-périphéricité, éloigné des grands pôles de développement économique chilien, d’où son image de région excentrée aux activités limitées à l’exploitation de la ressource locale comme la pêche ou l’élevage ; l’abondance des territoires non exploités, souvent inaccessibles, ayant donc gardé leurs caractères "naturels" dans des écosystèmes contraignants (carte ci-dessous à gauche) ; le sentiment que tout va très vite, que "tout peut arriver" ou que "tout peut changer" est ancré depuis quelques années dans les mentalités des habitants, c’est une région en pleine évolution et dont l’avenir paraît instable.
Ecosystèmes et principales voies de communication de la région d’Aysén
Source : Atlas du Plan Regional de Ordenamiento Territorial. Región de Aysén.
Adaptation : Géomer
Les évolutions ont été très rapides, depuis deux décennies : la région est ainsi passée d’un stade d’isolement extrême [3] à une période actuelle d’ouverture, d’où les incertitudes sur son devenir économique. Désormais, pour son développement futur, la région ne dépendrait plus du caractère pionnier qui l’a identifiée aussi longtemps, marquée par un peuplement de colons venant du nord. Cependant son identification comme région pionnière continue à persister aujourd’hui et non sans raison. En effet, bien des endroits isolés restent encore peuplés par des colons dont le mode de vie n’est pas sans rappeler les trappeurs canadiens du XIXe siècle. Cependant leur fragilité paraît évidente face à la complexité des évolutions récentes. Ainsi, la poursuite de la route australe vers le sud, même inachevée, a permis de commencer le désenclavement de la région (carte ci-dessus à droite). Ce début d’ouverture au monde a suscité l’arrivée de nouvelles populations attirées par le potentiel régional en termes de développement économique voire par l’isolement (tourisme, résidences secondaires). La pression sur le foncier commence à se faire sentir : de nouveaux projets se profilent générant une sorte de rupture historique dans la manière d’occuper et d’organiser le territoire.
Ces nouvelles dynamiques économiques suscitent des interrogations quant à la répartition des rôles entre l’État chilien et les différentes collectivités territoriales :
Región, Provincia et
Municipalidad. Face à la domination économique et politique de Santiago, la décentralisation amorcée à partir de 1976 et renforcée en 1992 est censée fournir des outils de gestion des territoires aux différentes échelles géographiques. Notre propos tend à montrer le fonctionnement du jeu de ces acteurs tant nationaux que régionaux, leurs marges de manœuvre et les limites de leurs actions. Avec l’ouverture de l’économie chilienne aux marchés et aux investisseurs mondiaux, il nous a semblé utile d’intégrer à notre réflexion ces nouveaux acteurs que sont les transnationales. Avec les moyens économiques et politiques qui sont les leurs, n’ont-elles pas tendance à court-circuiter les différents niveaux territoriaux de la gestion du territoire chilien ?
Enjeux politiques et territoriaux du développement économique d’une région périphérique
Quelques caractéristiques générales à la région déterminent une gestion territoriale particulière. Notamment, les terres appartenant à l'État sont majoritaires et suscitent un rôle accru des réglementations et des directives diverses en provenance de Santiago. Quelques problèmes découlent des facteurs exogènes et endogènes de l’organisation territoriale de cette région. Comment se manifestent les contraintes du milieu physique dans l’organisation de l’espace ? Dans quelle mesure l’histoire du peuplement et de la colonisation de la région d’Aysén pèse-t-elle dans l’organisation territoriale contemporaine ? De nouvelles formes d’occupation de l’espace en rupture avec le passé, de nouveaux acteurs apparaissent-ils alors que d’autres disparaissent ?
La colonisation et la mise en place du front pionnier
La région d’Aysén est une unité administrative créée en 1976 qui comporte 10 communes et quatre provinces, ces dernières pouvant être considérées comme l’équivalent de départements français. Son territoire actuel fut tardivement peuplé par rapport au reste du Chili. Si nous remontons à l’époque de l’Empire espagnol (avant l’indépendance du Chili qui date de 1810) les Indiens étaient peu nombreux. Actuellement, il n’existe plus de communautés indigènes et encore moins d’ethnies qui revendiquent ce territoire [4], ce qui n’est pas le cas des Mapuche plus au nord. Le peuplement de type européen de la région remonte à la fin XIXe du siècle, au moment où les frontières entre la Patagonie argentine et chilienne ont été établies (Martinic, 2005).
À partir du début du XXe siècle plusieurs étapes de la formation du territoire se sont succédées. Tout d’abord l’État chilien, désireux de mettre en valeur ces grands espaces, crée le système des concessions favorisant les grandes compagnies d’élevage sur d’importantes étendues du territoire (carte ci-dessous à droite). Les confins orientaux de la région centrale d’Aysén – l’axe Balmaceda-Coyhaique-fjord d’Aysén -, les plus aisés à occuper, ont d’abord été donnés en 1902 en concession à la société industrielle d’Aysén (Araya, 1985). Parallèlement des colons ont spontanément cherché à s’installer en Patagonie chilienne avec pour front de colonisation les zones frontalières avec l’Argentine. Ajoutons à cela une immigration faible mais ininterrompue des gens de Chiloe vers la région d’Aysén par voie maritime (Grosse, 1990). Les concessions d’élevage, qui ont duré une vingtaine d’années, ont laissé peu de marqueurs visibles dans la région : pas de routes, ni de villages, ni d’équipements publics. Par contre, ils ont permis de prendre conscience de l’intérêt de la mise en exploitation des espaces herbagers pour l’élevage bovin et ovin.
À partir de 1930, l’État chilien met en place une politique de reconnaissance des droits de propriété des colons établis de manière spontanée (Araya, 1985). Des villes et des villages apparaissent notamment dans la partie continentale où l’État fait des efforts pour les doter des services de base. Cependant un élément majeur explique le fonctionnement de la région ainsi que l’occupation de son espace : l’isolement. Il aura fallu attendre les années 1980 pour que la piste australe soit construite permettant des connexions internes et une ouverture de la région vers l’extérieur [5].
Zones de colonisation et densités de population dans la région d’Aysén
Source : Atlas du Plan Regional de Ordenamiento Territorial. Región de Aysén.
Adaptation : Géomer
Cette diversité de la colonisation a suscité une grande dispersion des quelques milliers de personnes habitant la région. Depuis une trentaine d’années, la concentration des équipements publics dans les principales villes et dans quelques villages a accentué le repli sur des points privilégiés du territoire. Ainsi, 80% de la population régionale vit dans les chefs lieux. Quant aux deux villes, Coyhaique et Puerto Aysén, elles regroupent à elles seules 67% de la population régionale en 2002. D’autres chefs lieux communaux tels que Caleta Tortel ou Villa O’higgins ne recensent respectivement que 320 habitants et 400 habitants. Dans ce contexte, parler de densités moyennes (0,9 habitants/km²) n’a pas beaucoup de sens quand on observe les réalités de plus près (carte ci-dessus à gauche).
Les marques d’une gestion centralisée d’un front pionnier
Dans la région d’Aysén, 75% de l’espace régional appartient au domaine public. La tutelle de l’État est importante, ce qui paraît logique dans des espaces sans présence humaine et pratiquement peu exploités. Cette prépondérance de l’État s’explique en grande partie par les difficultés qu’ont posées les contraintes physiques au peuplement : faibles aptitudes agricoles de ces terres, présence de glaciers continentaux très étendus et zones de montagne difficilement accessibles. Les conditions climatiques extrêmes de la région (basses températures, fortes précipitations) ont accentué les difficultés de la colonisation. La prégnance des contraintes physiques est évidente dans les phases de peuplement du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. Encore actuellement elles jouent un rôle majeur dans le faible développement de la région. Voyons quelles sont les caractéristiques de ces différents espaces à l’échelle de la région et quelle est l’emprise humaine sur cet espace régional.
Les grands types d’occupation du sol (tableau ci-dessous à gauche) permettent de constater le faible impact des activités humaines dans la région. À peine 13% des terres sont occupées par des villes, des cultures ou par des activités d’élevage extensif, ce qui déjà en soi ne signifie pas la même chose en termes d’impact sur l’environnement. Quant aux espaces forestiers, l’intervention humaine existe mais elle est rare voire inexistante quand ils sont classés aires naturelles protégées (43% de leurs superficies) ; le restant étant classé pour 30% en propriété privée (où l’élevage l’emporte) et pour 27% dans l’espace domanial public sur lequel des concessions peuvent être accordées (tableau ci-dessous à droite).
Différents types d'occupation et de gestion
des espaces de la région d'Aysén
Source : COrporación NAcional Forestal (CONAF) | |
À l’échelle de la région deux types de territoires apparaissent :
- Les territoires continentaux, avec leurs bordures côtières qui génèrent trois des grands espaces naturels où les activités et le peuplement ont été traditionnellement les plus actifs. Il s’agit de l’espace côtier en contact avec les grandes vallées intérieures ainsi que la zone de steppes en contact avec l’Argentine. C’est dans cette dernière que se situe la plus grande partie de la propriété privée et qui a accueilli les premiers colons. C’est une zone essentiellement montagneuse correspondant à la cordillère des Andes.
D’ouest en est le climat change et on passe d’une pluviométrie de 3 500 à 250 mm/an en traversant la cordillère des Andes vers l'Argentine. Les territoires insulaires sont au cœur d'une zone de pêche qui a généré un peuplement ponctuel sur la bordure côtière. L’absence de sols agricoles et une excessive pluviométrie annuelle (3 500 mm) font de cet espace une zone peu habitée, en majorité classée comme aire naturelle protégée, mais où la pêche est devenue le principal mode de valorisation de l'espace et du peuplement.
Les transformations récentes de certains de ces espaces montrent qu’il y a des possibilités de développement. Dans la zone insulaire, l’espace maritime est de plus en plus convoité, la ressource halieutique étant importante. Le désenclavement routier se poursuit accentuant les disparités spatiales. La construction de la route australe, ou
Carretera austral, a ainsi davantage profité aux espaces intérieurs proches de l’Argentine, aux principales villes et aux villages situés à proximité. De nouvelles activités apparaissent telles que celles liées au tourisme. Ce qui pourrait être considéré comme des contraintes – isolement, faiblesse de l’occupation humaine, difficulté de pénétration – deviennent des atouts pour certaines activités, en nombre suffisant pour avoir un réel impact économique.
L'ouverture et la libéralisation économique sous contrôle de l'État : le plan de développement régional de 2005
Pour analyser la gestion territoriale de la région d’Aysén, nous avons un indicateur majeur : 75% de l’espace régional est sous contrôle public (directement ou en concession), le reste est en propriété privée. La gestion territoriale publique est exercée par une administration centralisée dont les services correspondant fonctionnent comme une prolongation déconcentrée d’un pouvoir central lointain. L’Intendant administrant la région est nommé par le ministère de l’Intérieur et les représentants régionaux des ministères ainsi que les directeurs de services doivent suivre les lignes de gestion définies à Santiago. Dans ce contexte, l’État chilien qui conçoit le développement économique en termes de développement national (entrées de devises) et régional (augmentation de l’emploi et donc du peuplement de ces périphéries sud) cherche à faciliter les implantations de nouvelles activités économiques.
Nous sommes donc face à une réadaptation aux nécessités actuelles de consommation des grands espaces. Est-ce l’État qui prend l’initiative de ces changements ou bien est-il poussé par une pression externe et privée ? Nous pensons que les deux situations existent. Nous observons que les Plans de gestion régionaux sont une prolongation des politiques centralisées. Ainsi, l’action de services publics sur l’organisation territoriale continue à être sectorielle : par exemple, le ministère des Travaux publics a déjà un plan d'investissements pour les 50 prochaines années. Il semble plus simple de définir une gestion par service en fonction de ses missions et attributions que de proposer une gestion territoriale qui par définition est de caractère global : chaque secteur a son propre plan d'investissement sur le territoire sans prendre en compte les autres projets et sans en prévoir l'impact. | Organisation du pouvoir politique et principales prérogatives territoriales
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Le premier "plan d’aménagement territorial" date de 2005. Il prend en compte la partie terrestre et maritime [6] et propose un zonage généralisé des différentes activités (
Secretaria régional de planificacion y coordinacion, 2005). C'est un document de référence qui permet d'avoir un langage commun sur l’usage territorial de la région et la mise en relation des principaux acteurs territoriaux. Cependant il ne fait que mettre en perspectives les usages possibles du territoire sans générer des accords précis sur les futures utilisations des espaces de la région, ce n'est pas un véritable plan d’aménagement au caractère législatif lui permettant d’être opposable au tiers.
Ce Plan d’aménagement est aussi une des premières tentatives régionales d’organisation territoriale afin d'harmoniser différents plans sectoriels. "La stratégie pour le développement d’Aysén"
(Estrategia de desarrollo regional de Aysén), document amplement illustré
a nécessité l’organisation de nombreuses réunions et il a permis de dresser l’état des lieux (Grenier, 2003). Quant aux pistes de développement pour l’avenir, elles restent relativement vagues pour s’adapter à pratiquement toutes les situations nouvelles. Il en va ainsi du
desarrollo sustentable (développement durable) qui est évoqué au début du plan, ce qui permet d’éviter de le décliner secteur par secteur d’activités.
À une plus grande échelle de cette organisation du territoire nous trouvons les acteurs locaux que sont les communes : les Plans de développement communaux sont établis pour éclairer l’élaboration des Plans communaux d’occupation des espaces urbanisés et ces derniers sont opposables au tiers.
Les marges d’action des communes sont étroites, notamment parce qu’il n’existe pas de véritable liaison de gouvernance entre les pouvoirs locaux et régionaux. Lors de la réalisation des
Plans régionaux d’aménagement de territoire, la participation des habitants des communes concernées par ces plans est de caractère consultatif. Les plans d’aménagement ont peu profité des connaissances des acteurs locaux qui auraient pu pallier l’absence d’informations fiables sur beaucoup de secteurs économiques ou sur des territoires spécifiques. De leur côté, les municipalités n’ont pas intégré les enjeux territoriaux à l’échelle de la région. Au moment de l’élaboration des plans régionaux et des plans communaux, rares sont les articulations entre ces différentes échelles territoriales. Par ailleurs, comment concrétiser un véritable plan de développement territorial à caractère local en inscrivant dans l’espace les grands objectifs économiques, en prenant en compte les contraintes internes au territoire communal et les facteurs externes, le marché, la pression foncière provenant de l’extérieur ?
Ainsi, par exemple, la demande de concessions maritimes pour la salmoniculture est très forte depuis quelques années. Ceci peut provoquer des conflits d’usages dans les zones vouées à la pêche artisanale, les pêcheurs craignant que la salmoniculture s'étende et provoque des tensions et une diminution de leurs activités.
L’impact de l’ouverture économique/ libéralisation économique
sur les principaux secteurs d’activités : pêche, élevage et énergie
Il existe des arguments essentiels pour comprendre l’organisation de l’espace dans la région d’Aysén et à ce titre, nous trouvons en premier les dynamiques économiques à caractère local. Celles-ci ont pendant longtemps, du fait de leur isolement, été "protégées" du regard extérieur.
De la pêche artisanale à la salmoniculture industrielle
L'espace maritime est important sur le plan économique : environ 3 000 pêcheurs artisanaux sont inscrits sur les registres de pêche (Saldivia, 2005). Celui-ci est convoité tant par les acteurs locaux (les pêcheurs) que par les acteurs externes comme ceux de la salmoniculture. La position des pêcheurs artisanaux sur l’organisation économique de l’espace maritime tient en quelques principes : le respect de l’espace maritime régional consacré à la pêche artisanale, c'est-à-dire les fjords et les canaux intérieurs en tant que zone exclusive pour les pêcheurs de la région d’Aysén, à l'exclusion des pêcheurs des autres régions ; le développement des outils nécessaires au développement d'une aquaculture artisanale permettant d’avoir une gestion locale mieux contrôlée et une ressource plus proche du lieu d’habitat. Cet espace peut proposer aussi d’autres perspectives comme le tourisme, mais sans générer des ressources aussi importantes, du moins pour l’instant.
Zonages côtiers de la région d’Aysén
Les zonages du plan régional
de la bordure côtière
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Ainsi, tous les espaces marins à l’intérieur des fjords et des canaux de la zone insulaire sont consacrés à la pêche artisanale (Castro, Figueroa et Molinet, 1999). La spécificité de ces espaces a été renforcée par une loi sur la pêche qui réserve toutes les mers intérieures du Chili à ce type d’activité halieutique et sa réglementation interdit en principe aux bateaux de la pêche industrielle d'y concurrencer la pêche artisanale mais bien des cas d'infraction à la loi existent. La ressource existante peut être surexploitée localement, ainsi, entre 1976 et 1996, la quantité de poisson débarquée dans la XIe région est passée de 160 tonnes à 32 000 tonnes (Peuziat, 2003). D'où la recherche constante de nouveaux territoires de pêche, quête qui suscite parfois un peuplement itinérant tels que les campements des pêcheurs-artisanaux de
merluccius australis (
campamentos de
merluceros) apprécié sur les marchés espagnols notamment.
Localisation des populations : communes d’Aysén et de Río Ibáñez
Depuis les années 1980, de véritables campements de pêcheurs ont migré le long des littoraux de la région. Au début des années 2000, ces campements se sont stabilisés, se transformant en habitat permanent. De nouvelles migrations ne sont pas à exclure créant, ici ou là, de nouvelles implantations. Au cours des dernières décennies, le développement des élevages de saumons est continu. De 1990 à 2000 on a comptabilisé environ 3 000 demandes cumulées et constamment réévaluées de concessions pour la salmoniculture. Depuis 2005, 500 nouvelles concessions ont été accordées sur 3 000 demandées. Ces demandes se situant sur des zones de pêche artisanale, elles peuvent être à la source de conflits d'usage. En effet les cages de la salmoniculture se sont, jusqu'à présent, installées dans des espaces abrités également fréquentés et utilisés par les pécheurs artisanaux. Les crises sanitaires qui ont frappé la salmoniculture à partir de 2007 - 2008 ont provoqué la suspension de l'octroi de nouvelles concessions et la réévalutation du dispositif.
La XIe région : un front récent de la salmoniculture
Du fait de la grande dispersion géographique de la région d'Aysén, la salmoniculture s'est développée dans le nord, à partir de la production d'alevins et de leur engraissement, en particulier sur la commune de Melinka (Guaitecas) et de Puerto Cisnes qui, malgré son déficit en infrastructures a bénéficié de la proximité des usines de la región de los Lagos (région des Lacs, Xe région), sur la commune de Quellón. Le développement de cette zone fut facilitée par les wellboats (bateaux-viviers spécialisés, équipés d'un système de circulation d’eau de mer) qui, à partir de 2000, ont permis aux entreprises de surmonter les problèmes d'infrastructures et de communication en transportant sur de longues distances de grandes quantités de poisson vivant jusqu'aux usines de la région de Los Lagos. Dans ces conditions, l'entreprise Los Fiordos mène un processus d'intégration verticale allant des fermes d'élevage jusqu'aux services logistiques et opérationnels, à Puerto Cisnes.
Des usines implantées à Puerto Chacabuco et à Puerto Aysén devaient les doter des infrastructures nécessaires au développement de la filière salmonicole. Mais le séisme du 21 avril 2007 a causé des dégâts considérables aux différentes installations et a entravé les projets d'expansion dans ces zones. En amont de la chaîne de production, les services technologiques (aliments, cages et machines) restent donc assurés depuis la región de los Lagos ou à partir d'autres régions chiliennes.
Source (traduction, adaptation, S. Tabarly) :
- Gobierno Regional de Aysén, www.goreaysen.cl
- Estrategia de Desarrollo Regional de Aysén,
www.goreaysen.cl/.../deploy/EDR_AYSEN.pdf
Ci-contre :
- des photographies de Puerto Cisnes au fond du fjord Puyuhuapi : le site général de la ville et les installations d'une ferme à saumons (clichés : H. Escobar),
- une image Google Earth du site, les cages à saumon au sud-ouest de l'image.
Le pointeur .kmz sur l'image Google Earth ou Google Map de Puerto Cisnes, fjord Puyuhuapi avec ses coordonnées :
44°44'5.12"S / 72°41'53.41"O | |
Le déclin des zones d’organisation territoriale liée à l’élevage
L’évolution des zones d’élevage montre que cette forme d’exploitation de l'espace tend à disparaître. Localisée en majorité dans la partie continentale, cette activité paysanne a donné naissance à un habitat très dispersé, en contact avec les herbages. Les vallées et les zones de moyenne montagne ont été les premières à être occupées depuis la colonisation début XXe siècle (carte supra). Cette dispersion du peuplement s’est heurtée aux difficultés de l’isolement, ce qui a entraîné le regroupement en villages pour profiter des services de première nécessité (dispensaire, école et commerce). Depuis une trentaine d’années, ce regroupement s’est accentué, mais une partie non négligeable du peuplement demeure encore éparpillée, 10 à 20% de la population selon les communes. Lors du recensement de 2002, on a comptabilisé 72 700 habitants vivant dans un chef lieu de commune (79% de la population totale de la région), le reste (21%) étant constitué par une population rurale dispersée ou semi dispersée, répartie dans des hameaux et des lieux-dits. Mais le mouvement de regroupement se poursuit.
Cette mobilité se comprend aussi par la nécessité d’accéder à des activités économiques rémunérées. Par exemple dans le chef-lieu de Tortel (commune du même nom) 73% des activités déclarées s’avèrent être en majorité de la fonction publique contre seulement 11% consacrées à l’agriculture (recensement 2002). Cela semble constituer un paradoxe dans une commune nettement rurale. Ne nous y trompons pas, il s’agit des travaux temporaires que la municipalité octroie à ses habitants pour pallier le chômage qui est important en hiver. L’activité d’élevage a diminué considérablement ces dernières années : 18% des activités déclarées en 1991 contre 9% en 2002 alors que dans la même période la pêche est passée de 6,7 à 22%, ce qui montre son intérêt économique croissant, lié notamment aux exportations des produits halieutiques. Quant à la gestion des espaces voués à l’élevage extensif, elle est rarement prise en compte par les acteurs locaux. Par ailleurs, ces éleveurs deviennent progressivement dépendants des aides et de l’action publique. Cette dépendance finie par générer aujourd’hui des habitudes qui les rendent de plus en plus subordonnées à l’action de l’État, notamment sous la forme de dépendance sociale ce qui constitue une rupture avec le modèle économique précédant basé sur le caractère pionnier et indépendant des ces populations paysannes.
Les formes d’organisation territoriale et les enjeux fonciers des nouvelles activités : tourisme et énergie
Les autres activités que nous qualifierons de nouvelles et qui peuvent influer sur l’organisation de l’espace sont le tourisme et les "mégaprojets", notamment dans l’hydroélectricité.
L’espace touristique ne se construit pas selon une territorialisation préalable issu d’un consensus quelconque mais selon la capacité des investisseurs à valoriser ces espaces en attirant des touristes. L’écotourisme et le tourisme vert ou le tourisme d’aventure sont des concepts qui se sont développés depuis environ une quinzaine d’années dans la région. Le concept de biodiversité est ainsi rentré dans le langage public comme une alternative de développement par la voie du tourisme, une des rares activités capables de ne pas heurter l’environnement. C’est dans ce contexte que des investisseurs étrangers tels que Douglas et Kris Tompkins ont acheté une des principales propriétés d’élevage de la région (78 000 ha dans une zone proche de Cochrane) pour en faire un parc naturel privé qui devrait, à terme, être restitué à l'État chilien.
Les investissements touristiques se sont fait notamment dans : les zones entourant un grand lac comme le lac Général Carrera, ou bien le lac Cochrane ; les espaces proches de la piste australe nord-sud ; les zones de transition telle que la steppe, riche en biodiversité. Le problème du foncier s’est très vite posé. Les complexes touristiques se sont développés sur des terres agricoles achetées à des éleveurs. Il y a rarement eu des installations sur les terres domaniales en utilisant le système des concessions. Celles-ci sont administrées par le ministère des Terres domaniales (
ministerio de Bienes Nacionales). Les terres sont octroyées pour une durée de 50 ans aux fins de projets touristiques. Il en existe quelques uns dans la région d'Aysén, notamment dans la zone insulaire. L'un des plus important est celui de l'ile Jachica (
Ilha Jachica) mais ils sont encore peu nombreux.
Quant aux aires naturelles protégées, elles n’ont supporté que quelques rares aires de camping et des sentiers interprétatifs. On peut remarquer que le tourisme apparaît dans tous les discours des autorités locales comme une alternative économique pour les zones peuplées de la région. Un schéma d’aménagement touristique a ainsi été créé par l’Office du tourisme (
Servicio Nacional de Turismo, 2005) reconnaissant l’immense potentiel touristique de la région d'Aysén. Des zones d’intérêt touristique sont localisées sur tout le territoire régional, mais sans réel impact sur les choix des investisseurs.
Grands projets (megaprojets) et statuts territoriaux de la région d’Aysén
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On peut s'interroger sur la capacité des dispositifs régionaux à stopper des projets contradictoires avec les ambitions touristiques, surtout face à certains "megaprojets" en Patagonie chilienne (carte ci-dessus à gauche). L’usage des cours d’eau pour l’énergie hydroélectrique est emblématique de ces immenses projets dans la région. Le projet HidroAysén, prévu pour 2019-2025, comprend cinq barrages dont deux sur le fleuve Pascua et trois sur le fleuve Baker et cinq centrales hydroélectriques. Pour un investissement de 2,2 milliards d’euros, l’ensemble pourrait fournir à terme 2 800 megawatts augmentant de la sorte de 20% la production nationale d'hydroélectricité. Produite dans une région peu peuplée et peu consommatrice d’énergie, cette électricité devra être transportée vers Santiago et le Chili central sur 2 000 km. Cette ligne à haute tension, pose en soi déjà des problèmes en traversant une vingtaine de réserves naturelles et de parcs nationaux. Ce projet peut se décliner à différentes échelles géographiques : à l’échelle de l'économie mondiale, l’entreprise espagnole Endesa s’est associée à l’entreprise chilienne Colbun ; à l’échelle du Chili, le Gouvernement central appuie totalement ce megaprojet au nom de l’indépendance énergétique du pays ; au niveau régional, la Commission environnementale régionale a donné son feu vert en proposant quelques modifications (reboisement des zones endommagées, électricité à moitié prix pour la population locale) ; les communes n’ont pas été consultées. L’opposition est venue des écologistes qui ont organisé plusieurs manifestations durant le printemps 2011. La polémique concernant la vocation du territoire est lancée échappant en grande partie aux populations locales. HidroAysén est un bel exemple de ces emboîtements d’échelles d’une gestion territoriale si peu locale.
HidroAysén : une mobilisation nationale et mondiale
Le projet d'HidroAysén est devenu, à l'instar de Belo Monte au Brésil, un symbole de la contestation des grands équipements hydro-électriques dans le monde. D'abord locale et nationale, elle a su mobiliser au-delà des frontières et obtenir des relais internationaux à travers diverses organisations et leaders d'opinion, journalistes, célébrités, scientifiques. Voici une sélection de quelques ressources, parmi beaucoup d'autres, témoignant des formes prises par cette mobilisation.
"Patagonia sin represas", Consejo de Defensa de la Patagonia Chilena,
un collectif rassemblé autour de l'opposition au projet, www.patagoniasinrepresas.clmet à disposition différents outils de communication à visée nationale et internationale. - Le Chili sacrifiera-t-il sa Patagonie contre l'indépendance énergétique ?, Benito Perez, Centre de recherche sur la mondialisation , 26 aout 2009,
www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=14914
- Manifestations au Chili contre un projet de barrages hydroélectriques, Portfolio, Le Monde,
www.lemonde.fr/.../portfolio/.../manifestations-au-chili-contre/.../.html
- Chile Approves HidroAysén Dam Project In Wild Patagonia Despite Major Opposition, The Huffington Post, 5 septembre 2011, www.huffingtonpost.com/2011/05/10/chile-hidroaysen-dam-project-approved-patagonia_n_859833.html
- Luis Sepúlveda, lettre ouverte au président Piñera, Le Courrier international, 26/05/2011,
www.courrierinternational.com/article/2011/05/26/citoyen-president-sauvez-la-patagonie
- F. Bourlon et P. Segura - La Patagonie chilienne à la croisée des chemins. Barrages hydroélectriques ou tourisme, quel choix pour la région de Aysén ?
http://www.deroutes.com/AV8/patagonie8.htm
- HidroAysén par Wikipédia, pour une veille de la situation,
> en anglais, http://en.wikipedia.org/wiki/HidroAys%C3%A9n
> et en espagnol, http://es.wikipedia.org/wiki/HidroAys%C3%A9n |
Les enjeux territoriaux et les problèmes de gouvernance
Les années 2000 ont vu la poursuite de la libéralisation de l’économie patagonienne et l’intérêt grandissant des investisseurs étrangers. Dans le même temps, l’État chilien mettait en place une nouvelle gestion territoriale à l’échelle des régions et des municipalités. Cette double impulsion provenant du sommet et de la base a tendance à susciter quelques incompréhensions et blocages, de part et d’autre.
L’organisation verticale de la gestion du territoire et ses impacts sur l’intégration de la région d’Aysén au Chili
L’État continue à être un des principaux acteurs dans l’organisation territoriale de l’ensemble de la région. Cependant, la plupart du temps, il est à déplorer que les diagnostics et les projections à moyen et long termes demeurent strictement sectoriels. Pour la région, il semble plus facile de définir des politiques d’organisation territoriale par secteur que de générer un plan où tous les acteurs seraient présents. Les enjeux territoriaux dépassent souvent l’échelle communale. La commune de Tortel en donne un bel exemple avec la majeure partie de son territoire en parc et réserve naturelle dépendant de l’Office des forêts (carte ci-contre). Les marges d’action des communes sont donc étroites, notamment parce qu’il n’existe pas de véritable liaison de gouvernance entre les pouvoirs locaux et régionaux. Il est évident que le peu de moyens techniques et logistiques des communes y sont pour beaucoup.
D’un autre coté, les travaux récents élaborés par le ministère de l’Agriculture montrent que la réalité économique de la région d’Aysén a fortement changé ces trente dernières années. L’élevage n’est plus le moteur économique régional, 50% de l'espace régional est impropre à l’élevage (fortes pentes) et l’autre moitié est vouée à un élevage extensif confronté à des hivers très rudes. Est-ce la fin de mythe du pionnier, faut-il changer les politiques d’intervention dans ces vastes zones domaniales ? La réponse n’est pas simple mais nous avons des indices concrets de ces changements d’orientation comme l’apparition des concessions économiques dans les zones domaniales évoquées supra. | Les aires naturelles protégées dans l'espace communal de Tortel
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Depuis deux décennies, les objectifs de l’État ont changé : il ne s’agit plus seulement de favoriser le peuplement de ces espaces "vides" mais de chercher un développement plus rapide et plus rentable sur le plan économique. Ce tournant majeur a été pris durant la période de la Dictature mais il s’est vraiment mis en place pendant la phase libérale des gouvernements Frei et Lagos (1994-2000 et 2000-2006). On est donc face à l’idée d’une nouvelle construction régionale : nous passons de l’échelle locale à celle plus globale avec l’arrivée des transnationales. Les connaissances empiriques développées par les pionniers n’ont pas permis de créer un modèle de développement à caractère régional. Au contraire, c’est l’État qui a généré des perspectives de développement selon un modèle ouvert à l’échelle monde.
Autre exemple spectaculaire de contradictions dans l’organisation territoriale de la région : la mise en place de l’axe routier Nord-Sud. Dans la continuité de la Panaméricaine, cette piste a été prolongée vers le Sud pour permettre le désenclavement mais aussi le développement régional. Le pouvoir central en a fait une de ses priorités. Mais à l’échelle régionale, cet axe ne permet pas un réel désenclavement de l’ensemble des territoires. Ainsi, dans la zone des fjords, il aurait sans doute été plus utile de développer un autre modèle de transport, notamment maritime, comme en Norvège (carte supra). Mais derrière ces choix, il existe une volonté de s’introduire dans le territoire, de "l’ouvrir" pour permettre un meilleur développement économique, plus rapide, du moins dans une logique nationale voire internationale.
Les enjeux de la gouvernance face à l’élaboration des plans d’aménagement territorial
Dans cette région aux faibles densités de peuplement, se pose la question de la gestion territoriale de ces "vides humains" et de ces immenses espaces naturels. À l’heure où le concept de développement durable occupe une place importante dans les discours et amorce une entrée dans la gestion territoriale, ces espaces de faibles voire de très faibles densités deviennent importants. Devenus plus stratégiques qu’auparavant, ces territoires suscitent deux types de questionnement : l’un est relatif au positionnement des différents acteurs par rapport aux enjeux ; l’autre a trait à l’importance de la planification régionale pour les organiser et pour les gérer.
Si nous prenons l’exemple de l’intervention des acteurs locaux dans le processus de fabrication des plans d’aménagement et de gestion territoriale, plusieurs conclusions s’imposent. Les communautés locales ne possèdent pas ou très peu d’expérience pour discuter avec les instances publiques sur le devenir et les perspectives de leur territoire. Dans ces conditions, pour une participation optimale à ces plans d’aménagement, il faudrait assurer un niveau minimum de formation sur les processus de planification et de décision ainsi que sur les ressources et les perspectives globales de développement territorial.
Par ailleurs, les plans d’aménagement prennent peu en compte la véritable connaissance des acteurs locaux et parallèlement, l’expérience locale est de caractère empirique et trouve peu d’interlocuteurs capables de l’interpréter et de l’exposer. En général, la fonction publique chilienne et les acteurs locaux ne sont pas entraînés à la participation et à la création des plans d’aménagement territorial. Ensuite, la discussion autour d’un plan territorial se fait de manière sectorielle autour de thèmes d’intérêt, ce qui peut provoquer des incompréhensions lors d’une synthèse territoriale à caractère global. Ce qui prédomine dans ces plans est l’addition des différentes stratégies provoquant des confusions lorsqu’on veut avoir une idée claire, précise et synoptique du territoire. Enfin, la participation générale des acteurs locaux ne génère pas des processus résolutifs sur le territoire. Par la suite, ceci provoque une certaine méfiance des participants. | |
Au-delà de l'élaboration de plans d’aménagement qui ont suscité une concertation à l’échelle communale, ce qui préoccupe le plus la population locale est l’incertitude de projets futurs qui n’ont jamais fait partie des scénarios possibles. Les exemples concrets se trouvent dans la création de barrages dans la commune de Tortel. Ces projets sont apparus récemment alors qu’aucun document de planification territoriale n’y faisait allusion. Autre exemple, celui de l’arrivée massive des concessions maritimes pour la salmoniculture dans les eaux consacrées à la pêche artisanale, sujet qui préoccupe énormément les pêcheurs artisanaux de la région.
Globalement, le processus d’élaboration de ces plans d’aménagement n’est pas très favorable aux acteurs locaux. Les autorités locales, poussées par les urgences sociales, prennent plus souvent en compte les acteurs locaux pour évaluer les problèmes les plus urgents que pour analyser l’organisation du territoire. Cela se traduit assez souvent par des investissements en équipements concentrés dans les chefs lieux, ce qui semble plus facile mais renforce les déséquilibres déjà existants.
La Patagonie entre deux modèles
Le panorama régional nous semble complexe pour y appliquer une organisation territoriale liée à une véritable gouvernance. La région est un ensemble de plusieurs territoires où tous les concepts de développement sont applicables mais où des conflits d’intérêt apparaissent, entre acteurs économiques mais aussi entre des logiques divergentes locales, nationales voire internationales. Comment créer un espace partagé ? L’économie chilienne, de caractère libéral, cherche constamment à rentabiliser les territoires, à les définir selon leurs ressources et leurs capacités à contribuer à l’économie nationale voire internationale.
La recherche de nouveaux espaces économiques est abordée, parfois à coup de slogans : relativement récents comme "Aysén réserve de vie" (Aysén Reserva de Vida, document ci-contre) mais aussi "Aysén réserve de ressources". Caractérisant de nouvelles politiques d’aménagement du territoire, sur des territoires spécifiques, à protéger ou à exploiter, ces slogans réducteurs font oublier que ces "nouveaux espaces" sont colonisés depuis plus d’un siècle par un modèle qui parait peut-être économiquement moins performant mais qui existe. La pêche artisanale, à l’origine de tous les villages du littoral, développe une économie peu exigeante en ressources et ne devrait pas être prise en compte selon les retombées économiques pour la région, plus réduits que ceux de l’aquaculture industrielle, mais par les emplois qu’elle crée et le peuplement qu’elle engendre. En effet, l'aquaculture industrielle, jusqu'à présent, ne crée pas de peuplement stable car elle est soumise aux aléas de la production (crises sanitaires) et la main d'œuvre vient souvent d'autres régions, les pêcheurs locaux ne souhaitant pas travailler pour le compte d'industriels. La pêche artisanale a montré sa capacité à créer des localités peuplées en générant des chefs-lieux dont les équipements et les services sont des appuis à une vaste zone peuplée. |
Source : Consorcio para el Turismo Científico
en la Patagonia, ww.turismocientifico.cl/.../Consorcio.htm
Le slogan Aysén reserva de vida a été inventé
par les écologistes de la région. Depuis, il est
récupéré dans tous les discours officiels et détourné par les opposants. |
Il existe un consensus "fourre tout" sur le terme de développement durable mais qui cache certaines ambiguïtés. En effet, la démarche actuelle de l’État est d’offrir des portions d’espaces publics aux investisseurs ayant les capacités financières pour développer de grands projets de développement. Dans le domaine du tourisme littoral par exemple, ces projets, peuvent être cohérents avec le concept de développement durable si on limite ce dernier à la sphère de l’environnement et de l’économique. Par contre, dans la sphère du social, les megaprojets, comme celui de Douglas et Kris Tompkins (mais ailleurs, dans le secteur du tourisme, ce sont plutôt des microprojets), suscitent peu d’implantation de nouvelles populations et ont tendance à concentrer le pouvoir économique dans les mains de quelques personnes. Le message implicite des différents acteurs de l'aménagement régional est de concentrer les moyens dans les chefs-lieux pour améliorer les conditions de vie des habitants et pour laisser les grands espaces aux mains de quelques investisseurs.
Une véritable gestion intégrée de ces espaces, se revendiquant du développement durable, devrait prendre en compte la valorisation de ces territoires ruraux de très faible densité dont les capacités d’autosubsistance et d’indépendance économique ne sont pas à négliger. Des solutions alternatives pour assurer les services de santé, d’éducation ou culturels doivent être recherchées, une réflexion sur une organisation territoriale adaptée au peuplement des zones isolées doit être engagée tout en tenant compte des rationalisations nécessaires [7]. C’est dans ce contexte que les municipalités peuvent jouer un rôle important dans l’organisation du territoire, notamment quand il s’agit de communes très étendues et éloignées de la capitale régionale. Il s’agit pour ces communes de pouvoir développer d’autres alternatives.
Conclusion
Les acteurs du territoire régional semblent agir de manière compartimentée, parfois subordonnée aux outils que l’État leur propose. Si les Plans d’aménagement du territoire ont été présentés, pendant les années 2000, comme une nécessité tant à l’échelle de la région d’Aysén qu’à l’échelle communale, l’élaboration de ces derniers n’a pas changé fondamentalement la donne. Plusieurs problèmes de gouvernance se présentent à la base : les populations locales ne participent pas de manière efficace à l’organisation de leur territoire, leur point de vue n’étant pris en compte qu’en dehors du processus décisionnel.
D’un autre coté, des activités traditionnelles qui ont servi de base au peuplement sont en pleine régression et des alternatives de reconversion ou d’adaptation n’ont pu être mises en place pour les populations locales. Dans ces conditions, les nouvelles dynamiques d’organisation territoriale ne semblent plus tenir compte des héritages économiques de la région comme l’élevage ou la pêche artisanale. Enfin les plans d’aménagement proposés ne sont qu’une sorte de réorganisation nouvelle de l’espace où l’État cherche surtout à réduire sa présence face aux investisseurs privés, principalement des transnationales hydroélectriques, telle que Endesa, ou bien les entreprises lièes à la salmoniculture.
Notes
[1] Hernan Escobar Zamora, professeur,
département de Sciences géographiques, faculté des Lettres, université de Playa Ancha, Valparaiso, Chili, http://web.upla.cl/aulavirtual/academicos.asp
Nous remercions R.P. Desse, professeur de géographie à l'université de Bretagne occidentale (UBO), spécialiste de l'Argentine, pour sa disponibilité,
www.univ-brest.fr/Recherche/Laboratoire/CRBC/cherch/desse.htm
[2] Le système politico-administratif du Chili reste très centralisé. Depuis 1976, le territoire est tout de même divisé en
Región, Provincia (équivalent du département en France) et
Municipalidad. La loi instituant les gouvernements régionaux a été adoptée en 1992.
[3] La construction de la route australe, une sorte de piste nord sud, commence à partir des années 1980 et elle est loin de desservir toutes les zones habitées de la région. L’accès le plus facile se fait toujours par l’Argentine à l’est ou bien par le Pacifique à l’ouest.
[4] D’après les historiens (Martinic , Araya, 2005), en Argentine et à la frontière chilienne les estimations indiquaient l’existence de 40 000 indiens Téhuelches et, dans la zone du littoral pacifique, environ 20 000 indiens Kaweskars. Cependant il n’y a pas de statistiques exactes à l’heure actuelle.
[5] La région d’Aysén est une région dispersée et vouée aux activités primaires telle que l’élevage. Ceci est valable notamment sur la partie continentale dans les grandes vallées intérieures et les zones frontalières.
[6] Nous retenons les principaux acteurs régionaux pour ce plan ; Le ministère de l’Habitat pour l’aménagement territorial à partir des centres peuplés, le ministère des Chantiers public pour la construction des routes, l’Office des forêts pour la gestion des aires naturelles protégées et la forêt, le ministère des Terres domaniales pour la gestion des terres publiques, le ministère de l’Agriculture pour la classification des écosystèmes, le Service de la pêche pour les activités en mer et le Service régional de planification (Serplac) comme coordinateur du plan.
[7] Ces problématiques se retrouvent dans différents autres territoires dans des situations comparables : Canada (Terre Neuve, Labrador, Colombie britannique par exemple), Groenland où les autorités danoises ont mené des politiques de regroupement des populations, etc. Les géographes russes développent l'idée "d'osons le désert", c'est-à-dire, abandonnons les terres non rentables ou exploitables et recentrons nous sur les espaces plus densément peuplés. Louis Brigand, géographe spécialiste des milieux insulaires, conduit des réflexions sur les modes d'occupation de territoires isolés, leurs problématiques spécifiques et sur les différentes options possibles,
http://letg.univ-nantes.fr/fr/laboratoire/5/membre/83.
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Sources et ressources web, une sélection
- En complément, avec le dossier "Le développement durable, approches géographiques" :
L'aquaculture marine et ses dynamiques. L'exemple de la salmoniculture. Norvège, Chili : caractéristiques de deux modèles
- S. Velut, S. Kahn, La Patagonie, cas d'intégration régionale par le bas,
www.franceculture.fr/blog-globe-2011-11-09-la-patagonie-cas-d-integration-regionale-par-le-bas-0
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www.goreaysen.cl
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Estrategia de Desarrollo
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www.goreaysen.cl/GoreAysenWebNeo/Controls/Neochannels/Neo_CH6039/deploy/EDR_AYSEN.pdf
- Plan Regional de Ordenamiento Territorial. Región de Aysén,
www.ecosistemas.cl/1776/article-71694.html
- Centro de Investigación en Ecosistemas de la Patagonia (CIEP),
www.ciep.cl
Hernan Escobar Zamora, professeur au départament de Sciences géographiques,
faculté des Lettres, université de Playa Ancha, Valparaiso, Chili,
avec l'accompagnement de R.P. Desse, professeur de géographie,
université de Bretagne occidentale,
conception et organisation de la page web, compléments documentaires,
Sylviane Tabarly, ENS de Lyon / Dgesco,
pour Géoconfluences le 10 février 2012
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