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PARIS,
PAULIN ET IKCHEVAUER. ÉDITEURS, 1855
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On le voit : à de telles conditions , le changement de
domicile est impossible ; et le cultivateur, quoiqu'il fasse,
reste parmi les meubles du propriétaire domanial. Le
règlement lui dit qu'il est libre, et l'empêche en même
temps d'user de sa liberté.
Tel est le fameux code de réforme imaginé parla puis-
sance protectrice! Voilà les soulagements promis au
paysan par M. de Kisseleff! Il faut en faire honneur aussi
aux boyars qui l'ont rédigé, et parmi lesquels figurent
en première ligne Bibesco et Stirbey. Le règlement or-
ganique n'est pas seulement un monument consacré au
vol et à l'oppression; c'est aussi un arsenal de guerres
civiles, d'où doivent sortir un jour le massacre et l'in-
cendie. Il est temps encore cependant de prévenir d'im-
menses calamités que les opprimés appelleraient la jus-
tice divine ; mais il faut pour cela qu'intervienne au plus
tôt la justice humaine.
Rédigé à l'ombre d'une occupation militaire, mis au
jour par une administration étrangère, le règlement or-
ganique fut inauguré dans le sang. En Valaquie, les
paysans protestèrent contre les tyranniques bienfaits de
M. de Kisseleff; les soldats russes, envoyés dans les vil-
lages, prouvèrent à coups de fusil la douceur du règle-
ment. En Moldavie, le mécontentement prit un caractère
d'insurreclion ; la répression fut plus cruelle. Des flols
de sang inondèrent les sillons où Ton enchaînait le
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paysan. Ce fui un beau jour pour la grande propriété ; le
boyar prit possession d'une terre fertilisée par des ca-
davres. •
Alors la rapacité se donna libre carrière. Car si les
Russes étaient d'impitoyables protecteursi les boyars
étaient de rudes propriétaires, et le régime nouveau fut
développé par eux avec toutes les ruses d'une savante
usure.
Le pays tout entier en ressent bientôt les funestes ef-
fe(s« Les victimes, incapables de résister, cherclient un
asile à l'étranger. Lespaysans moldaves passent en Buco-
vine» en Bessarabie et dans la Dobrudja ; les Valaques,
en Transylvanie, en Serbie et en Bulgarie. £n vain les
bords des fleuves sont activement surveillés et comme en
état de siège ; lesémigrants francbissent les intervalles li-*
bres de troupes. L'hiver surtout, les émigrations se
multiplient, lorsque le Danube, arrêté par les glaces, forme
un pont toujours ouvert. Plus de 40,000 familles s'éta-
blissent le long de la rive serbe ; en Bulgarie et jusqu'en
Romélie, on en compte aujourd'hui plus de 100,000,
qui ont quitté le pays depuis le règne du règlement or-
ganique, et leur nombre augmente tous les jours (l).
Même les populations étrangères qui avaient fui le ré-
gime turc, aimèrent mieux y retourner que d'accepter le
règlement. Après la guerre de 1828, une colonie de Bul-
gares, composée de plus de 30,000 familles, avait créé en
Yalaquie de magnifiques établissements agricoles qui pro-
mettaient un riche avenir. Les oppressions du règlement
(1) Question éccnomiquc, p. 48. — DcrnitMC occupalion des
principautés danubiennes, par Chainoi, p. 101.
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forcèrent la colonie de se dissoudre; les Bulgares repassè-
rent le Danube; et ceux d'entr'eux qui restèrent» fondè-
rent deux petits bourgs, mais renoncèrent à l'agriculture.
Pendant les années 4834, 1835 et lS3C,plus del2,0OO
familles transylvaines, établies en Valaquie depuis près
d'un demi-siècle, retournèrent dans leur pays.
La dépopulation se faisait si rapidement, les plaintes
du paysan devenait si vives, que le prince Alexandre
Ghika en fut effrayé. De 48:n à 1842, on le vit lutter
contre les boyars en faveur du paysan, et ce sont ces jus-
tes réclamations, il faut le dire, qui soulevèrent contre
lui les oppositions de rassemblée. Les offices (1) du
prince sont de constants réquisitoires contre les méfaits
de la grande propriété. Les boyars n'y répondent que par
des récriminations, où ils accusent les dilapidations du
gouvernement. Il y avait matière à critiquer sans doute,
mais ce n'était pas une réponse aux reprocbes qu'ils mé-
ritaient. D'ailleurs, dans les dilapidations du gouverne-
ment, les boyars eux-mêmes étaient complices et béné-
ficiaires, tandis que le prince était désintéressé dans la
question des paysans. On doit donc savoir gré au prince
Alexandre Ghika, d'avoir pris hardiment la défense des
opprimés, d'autant mieux que ce fut une des causes
de sa chute.
On ne saurait se faire une idée de l'audacieux achar-
nement avec lequel les boyars de l'assemblée se firent les
champions de leurs propres abus. En pleine séance,
dans la session de 1842, un d'entre eux s'écriait avec
un véritable enthousiasme de financier : « Le paysan est
(1) Communications i rassemblée.
— sal-
le capital du boyar (1). • De telles paroles n'ont pas be-
soin de commentaires. Ajoutons que ce boyar était Técho
des sentiments de la majorité.
Les trompeuses espérances qu'avait inspirées Ta-
vènehfient de Bibesco firent croire aux paysans qu'ils
allaient obtenir quelque soulagement ; les pétitions, les
plaintes se multiplièrent. Mais Bibesco était parmi les
pro] riétaircs qui avaient combattu Ghika : complice des
oppresseurs, il ne pouvait les mécontenter. Tout en di-
minuantde deux joursriobagie(2), il augmenta les jours
de travail aux grandes routes , doubla le péage des bar-
rières y et enchaîna davantage le paysan à la terre du
boyar.
Tel est l'état de choses qui existe encore aujourd'hui
en Moldo-Yalaquie ; telles sont les relations entre pro-
priétaires et cultivateurs. Le tableau n'a rien d'exagéré.
Nous craignons même de l'avoir décoloré, tant il est dif-
ficile de peindre ce contraste inoui entre la misère et l'o-
pulence, entre la victime et l'oppresseur. Pour résumer
en quelques mots la constitution rurale des principautés»
nous n'avons pas d'expression plus concluante que le
fameux axiome socialiste , si faux comme principe gé-
néral , mais devenu vrai dans cette application parti-
culière : Dans les mains des boyars et des moines , la
propriété c*est le vol.
(i) Question économique, p. Al.
^2) L'iobagie fut, en ISAS, réduite de 1& jours h 13.
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