quarta-feira, 18 de janeiro de 2012

La spécificité du fait alimentaire dans la théorie économique. Les fondements historiques et les enjeux

Alain Clément

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Résumés

Dans la théorie économique la sphère alimentaire fait l'objet d'analyses spécifiques, émanant des différents courants de pensée, tant sur le plan du fonctionnement des marchés et de la formation des prix que sur le plan des conditions de production et de distribution. Ce traitement particulier du fait alimentaire débouche sur des débats contradictoires qui sont à l’origine de propositions en matière de politique économique, et de politique alimentaire en particulier, alternant entre un pur libéralisme et un interventionnisme marqué. Les prolongements contemporains de ces débats récurrents traduisent toute la pertinence des textes fondateurs de l’économie politique.
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Index chronologique :

XIXe siècleXVIIIe siècleXXe siècle
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Texte intégral

  • 1  José BOVÉ, Le monde n'est pas une marchandise : des paysans contre la malbouffe. Entretiens avec Gi (...)
  • 2  Ainsi Max WEBER,Histoire économique, Paris, Éditions Gallimard, 1991, 431 p., explique que la couv(...)
1À l’occasion des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle fin 1999 les adversaires à la mondialisation et certains gouvernements, européens notamment, ont à nouveau soulevé la question de l’exception agricole. L’action de la confédération paysanne contre le restaurant Mac Donald’s de Millau au cours de la même année et la sortie du livre-entretien de José Bové Le monde n’est pas une marchandise 1, au cours de l’année 2000 n’ont fait que renforcer une intuition très populaire et très répandue qui consiste à penser les questions agricoles et alimentaires de façon totalement spécifique. L’idée de ne pas assimiler les produits agricoles et alimentaires à n’importe quelle autre marchandise n’est pas nouvelle, comme l’ont traduit les sociologues et les historiens 2. L’objet de cet article est de montrer que la théorie économique, à la lumière des textes fondateurs qui ont jalonné la période allant du XVIe siècle au XIXe siècle, retient également la thèse de la spécificité du fait agricole et alimentaire. Deux thèmes majeurs peuvent être mobilisés pour l’illustrer : le fonctionnement des marchés alimentaires d’une part, avec comme sous-thème important le problème de la cherté des vivres ; et d’autre part le thème de l’indépendance alimentaire. Seront également abordés en parallèle les enjeux théoriques et analytiques découlant de cette spécificité qui, tout en suscitant des débats, contribuèrent à la formation de l’économie politique en tant que science et action sur le monde.

Spécificité du fonctionnement des marchés agricoles et nécessité du pain à bon marché

2Un des objectifs fondamentaux de la société est de garantir au peuple un approvisionnement alimentaire régulier et substantiel, comme le soulignent constamment la plupart des premiers économistes : « Il faut que le peuple vive à bon marché » écrit Bodin 3 dans la Réponse à Malestroit. Ce n’est pas simplement l’idée du pain bon marché qui est en jeu mais la capacité de chacun à s’en procurer. Or cet objectif, rappelé par l’abbé Galiani 4 dans ses Dialogues sur le commerce des blés en 1770 (« manger du pain ou n’en pas manger n’est pas une affaire de goût, de caprice ni de luxe, c’est une nécessité de tous les siècles et de tous les âges ») 5, également présent chez les grands auteurs libéraux à l’instar de Smith : « Aucune société ne peut être florissante et heureuse, si la majorité de ses membres est pauvre et misérable » 6 pose un véritable problème économique. Car comment concilier cette obligation morale et politique qui renvoie à la nature spécifique des produits agricoles comme biens de subsistance avec les règles de fonctionnement du système économique qui considère le blé comme une simple marchandise ? La réponse à une telle question constitue un des premiers enjeux de la théorie économique et engage une première série de débats.
  • 3  Jean BODIN, Les six livres de la République, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1986 (1ère édition 15 (...)
  • 4  Ferdinand GALIANI,Dialogues sur le commerce des bleds, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1984 (1ère (...)
  • 5  Ibidem, p. 86.
  • 6  Adam SMITH, The wealth of nations, 1776, dans R.L. MEEK, D.D. RAPHAEL et P.G. STEIN (dir.), The Gla(...)

Une première réponse : le blé est un objet d’administration

3Les premiers mercantilistes analysent les produits agricoles, le blé en particulier, comme bien de subsistance, avant de le considérer comme un objet de commerce. En l’absence d’une véritable pensée théorique sur le marché, c’est l’État qui doit veiller au bon approvisionnement alimentaire des populations ainsi qu’au bas prix du marché. Pour garantir un prix à la portée de tous, l’État via son administration doit constamment surveiller et encadrer les marchés et intervenir en cas de nécessité. Il le fait le plus souvent par l’intermédiaire des stocks publics qui ont pour résultat de stabiliser les prix du marché. Ainsi Bodin propose « d’avoir en chacune ville un grenier public, comme on voit anciennement és villes bien reigles. […] En quoy faisant, on ne verroit jamais la cherté si grande qu’on voit : car outre ce qu’on auroit provision pour les mauvaises années, on retrancheroit aussi les monopoles des marchands qui serrent tout le blé » 7. Une gestion publique des réserves ainsi qu’un contrôle du commerce des marchands de blé devraient permettre à la fois, de maintenir un prix juste 8, et de satisfaire les besoins de la population des villes. À cette première intervention étatique, s’en ajoute une deuxième qui consiste à réduire la circulation des céréales à l’intérieur de la nation, en empêchant les sorties du territoire et par voie de conséquence mécanique, l’envolée des prix sur les marchés agricoles : « La France ne fut jamais affamée c’est-à-dire qu’elle a richement de quoy nourrir son peuple quelque mauvaise année qui survienne, pourveu que l’estranger ne vuide nos granges » 9. Aussi le commerce extérieur ne doit être autorisé que si le pays est déjà suffisamment bien approvisionné. De telles politiques alimentaires ne sont pas simplement l’apanage des mercantilistes car elles sont particulièrement bien défendues, à des degrés certes différents, par de nombreux auteurs plus ou moins sensibles d’ailleurs au rôle de l’État : Boisguilbert, Galiani, Linguet, Mably, Steuart, Bentham et Malthus 10. Cette conception de l’État nourricier est toutefois remise en cause par les idées libérales qui commencent à se développer en Europe dès la fin du XVIIe siècle.
  • 7  Jean BODIN, Les six livres de la République, ouv. cité, pp. 455‑456.
  • 8  Le juste prix n’est pas le prix de marché même s’il peut y avoir coïncidence entre les deux. Le jus (...)
  • 9  Jean BODIN, Les six livres de la République, ouv. cité, p. 143.
  • 10  Pierre deBOISGUILBERT, Traité de la nature, culture, commerce et intérêt des grains, tant par rapp(...)

Une deuxième réponse : le marché autorégulateur ?

4Une deuxième façon de résoudre le problème serait à l’opposé de faire confiance au fonctionnement autorégulateur du marché et de prendre en compte la simple dimension « marchandise » des produits alimentaires. Pourtant la réponse ne semble pas aller de soi, tant le fonctionnement des marchés céréaliers obéit à des règles atypiques. Tout en contribuant à la construction théorique du marché au XVIIIe siècle, un certain nombre d’économistes ont mis en évidence une spécificité de la demande et de l’offre des produits alimentaires dont les conséquences sur le fonctionnement des marchés ne sont pas négligeables. Ainsi Boisguilbert souligne la dimension incompressible de la demande dans la mesure où elle correspond à des besoins vitaux. Les adversaires du libéralisme insistent quant à eux sur l’absence de délai possible dans l’expression de la demande : « Si mon habit, mes chemises, mes bas et mes souliers ne valent rien, j’ai le temps d’attendre, et jamais on n’a lu dans l’histoire qu’il soit né de-là quelque sédition. Mais je ne puis me passer un jour de pain sans avoir la mort devant les yeux » 11. Ainsi la demande en blé qui est constamment sous tension, tension d’autant plus forte que la pression démographique sur les ressources alimentaires s’exerce sans répit 12, oriente les prix à la hausse. Cependant si les besoins sont pressants, ils ne sont pas pour autant infinis comme le fait remarquer Smith : « Dans tout homme, l’appétit pour la nourriture est borné par l’étroite capacité de son estomac ; mais on ne saurait mettre de bornes déterminées au désir des commodités et ornements qu’on peut acquérir » 13.
  • 11  Gabriel MABLY, Du commerce des grains, ouv. cité, p. 263.
  • 12  Cantillon sera le premier économiste après Botero à développer cette idée suivie par Smith et par M (...)
  • 13  Adam SMITH, The wealth of nations, ouv. cité, volume 1, pp. 181‑182.
  • 14  Voir sur ce point : GilbertFACCARELLOAux origines de l'économie politique : P. de Boisguilbert(...)
  • 15  Adam SMITH, The wealth of nations, ouv cité, volume 1, pp. 526‑527.
5La spécificité est tout aussi vraie pour l’offre en produits agricoles 14. Cette dernière apparaît rigide et incontrôlable car elle est soumise aux aléas climatiques si bien que, comme le fait remarquer Boisguilbert, une nation peut évoluer entre pénurie et surproduction. Pour tempérer ces fluctuations, des compensations peuvent s’établir selon l’étendue du territoire prise en compte : « Si dans les années de pluie ou de sécheresse, la récolte se trouve, il est vrai, de beaucoup au-dessous de ce qu’elle est dans une année convenablement tempérée, cependant, même dans celles-là, ce qui est perdu dans une des parties du pays se trouve, jusqu’à un certain point, compensé par ce qu’on gagne dans l’autre » 15 mais est-ce suffisant ? Peut-on, face à ces spécificités découvertes, aborder le fonctionnement des marchés céréaliers de la même manière que n’importe quel autre type de marché ? Peut-on garantir l’objectif d’un pain à la portée de tous dans le cadre d’un fonctionnement autorégulateur du marché, compte tenu d’un comportement spécifique de l’offre et de la demande en produits agricoles ? À cette question, les réponses s’avèrent diverses et contradictoires, générant un véritable débat tout au long du XVIIIe siècle.
  • 16  Voir sur ce point : HervéDEFALVARD, « Les vues de Boisguilbert sur les marchés », dans Hervé DEFAL (...)
  • 17  Pierre deBOISGUILBERT, Traité de la nature, culture, commerce et intérêt des grains..., ouv. cité,(...)
  • 18  Ibidem, p. 861.
6Pour Boisguilbert, le marché des blés obéit à une logique spécifique en raison des contraintes qui pèsent sur l’offre et sur la demande. Il se caractérise par un climat de désordre et de spéculation rendant difficile la stabilité des prix 16. En effet, le problème de fond est lié au fait que « le laboureur ne peut non plus se passer de vendre ses blés que celui qui s’en veut fournir se dispenser de manger, et ce sont ces deux obligations qui font le désordre dans ce trafic » 17. Sur ces marchés, observe-t-il, les informations que détiennent les agents sont souvent erronées. La mauvaise information amplifie ou même crée le phénomène qui au départ était marginal ou inexistant : « Du moment que quelqu’un de ces dérangements a produit son effet, les uns plus tôt, les autres plus tard, aussitôt l’alarme se répand parmi le peuple que l’année ne sera pas opulente, que les blés ont manqué en quantité de contrées […] il en arrive comme dans toutes les rumeurs publiques, on fait le mal beaucoup plus grand qu’il n’est » 18. Les acheteurs, prévoyant la disette et la hausse des prix consécutive, veulent constituer des stocks de précaution et augmentent leur demande. De leur côté, les vendeurs constituent des stocks spéculatifs. Ainsi le marché a tendance naturellement à produire un prix élevé indépendamment de l’état réel de la récolte. Aussi comprend-on mieux pourquoi Boisguilbert cautionne la mise en place de greniers publics. Cependant la liberté du commerce extérieur est également recommandée car elle seule est réellement susceptible d’amoindrir les effets négatifs des anticipations auto-réalisatrices des agents économiques.
  • 19  Sur la réglementation du fonctionnement des marchés céréaliers, Voir notamment : E. LIPSONEconomi (...)
  • 20  Pierre Samuel DUPONTde NEMOURSDe l'exportation et de l'importation des grains, Paris, Éditions G (...)
  • 21  Voir sur ce point : Philippe STEINER, « L’économie politique du royaume agricole », dans Alain BÉRA (...)
  • 22  Adam SMITH, The wealth of nations, ouv cité, volume 1, pp. 15‑16.
7Les physiocrates, Smith et le courant libéral en général adhèrent à l’idée d’une harmonisation des intérêts par la voie du libre fonctionnement du marché au travers de l’ajustement prix/salaires, même s’il convient parfois de faire quelques entorses au principe du libre-échange comme nous le rappelle J.‑B. Say dans son Traité. Le meilleur moyen de parvenir à un approvisionnement satisfaisant des populations est de laisser faire le marché. Cela suppose une liberté totale de circulation tant à l’intérieur du territoire qu’à l’extérieur et sans que l’État ne réglemente le fonctionnement des marchés comme la tradition séculaire l’exige 19. L’argumentation libérale va même s’appuyer sur la spécificité des produits agricoles pour asseoir ses convictions. L’abondance de ces biens — il s’agit de produits renouvelables — semble être une caractéristique forte et déterminante susceptible d’apaiser les inquiétudes populaires : Pierre Samuel Dupont de Nemours parle de « richesses renaissantes » 20. Le secteur des produits agricoles est ainsi analysé comme une génération et non une simple addition de richesses 21 que multiplie la terre nourricière et qui s’assimile à un véritable don gratuit de la nature. À cet argument qui tendrait à dédramatiser le problème des vivres viennent s’ajouter deux autres qualités qui abondent dans le même sens : leur nature périssable, et leur caractère volumineux les rend difficilement transportables, à la différence de n’importe quelle autre marchandise. Les échanges avec l’étranger ne risquent alors de concerner en réalité qu’une faible part de la production nationale. Ainsi l’inquiétude populaire est une fois de plus injustifiée. Outre les coûts de transport qui prohiberaient de façon forte ce type de commerce, les conditions dans lesquelles ces biens sont produits sont à peu près les mêmes partout, car la division du travail est rarement possible, comme le fait remarquer Smith : « Il est vrai que la nature de l’agriculture ne comporte pas une aussi grande subdivision de travail que les manufactures, ni une séparation aussi complète des travaux. Il est impossible qu’il y ait, entre l’ouvrage du nourrisseur de bestiaux et du fermier, une démarcation bien établie qu’il y en a communément entre le métier de charpentier et celui de forgeron » 22. Aussi tout danger concurrentiel ou toute opportunité lucrative de vente des blés à l’étranger semble peu probable. C’est donc avec optimisme qu’est défendue la politique libérale des blés.
  • 23  Gabriel MABLY, Du commerce des grains, ouv. cité, p. 288.
  • 24  Necker doute de cet ajustement prix/salaires, car la loi d’airain des salaires défavorisera toujour (...)
  • 25  Gabriel MABLY, Du commerce des grains, ouv. cité, p. 211.
  • 26  Jacques NECKERSur la législation…, ouv. cité, p. 232.
  • 27  Voir notamment : MichaelLIPTONWhy poor people stay poor, Londres, Temple Smith, 1977, 353 p. ; J (...)
8De retour sur cette spécificité du fait alimentaire, les partisans d’une intervention de l’État prennent le contre-pied point par point en exigeant une politique alimentaire active et volontaire. En particulier, la consommation populaire en produits alimentaires, qui ne peut être différée, ne risque-t-elle pas de créer chez les agents économiques chargés de l’approvisionnement un comportement de spéculateurs, d’« affameurs » se demande l’avocat Linguet, car « la cupidité est le principe, la fin et l’âme du commerce » 23. Ne croyant pas aux vertus du marché autorégulateur en particulier dans ce domaine, ces économistes anti-libéraux contestent l’ajustement prix/salaires ou plus précisément pensent que si cet ajustement est possible 24, il exige un délai trop long et donc préjudiciable au peuple. L’urgence du besoin rend ainsi toute politique libérale trop dangereuse : « Il faut un autre espace de temps pour que le bled arrive, et si cet espace de temps est de quinze jours, et que vous n’ayez des provisions que pour une semaine, la ville reste huit jours sans pain […] le théorème va bien, le problème fort mal » 25. Ces opposants contestent enfin la relativité des arguments libéraux en matière de commerce extérieur car « la sortie d’une petite quantité de grains suffit pour occasionner une révolution prodigieuse dans les prix » 26. Pour des raisons totalement contraires mais qui tiennent aussi à la spécificité du fait alimentaire, ces défenseurs de l’interventionnisme rejettent en bloc le discours libéral. Le débat qui se poursuivit tout au long du XIXe siècle n’a pas perdu à la fin du XXe siècle de son actualité quand on songe en particulier à la manière dont sont abordés les problèmes alimentaires du Tiers-Monde 27.

Indépendance alimentaire : les enjeux et la portée du débat

L’objectif d’indépendance alimentaire : invariant dans le temps

9Cet objectif souvent revendiqué à la fois par le pouvoir politique et par les économistes, repose une nouvelle fois sur les spécificités de la production agricole et alimentaire. À la différence des productions industrielles, les premiers économistes notent que c’est la nature qui est à l’origine de cette richesse agricole et que ces nourritures terrestres nous sont octroyées plus ou moins généreusement par la providence. À partir du moment où un pays dispose d’un tel avantage, il est évident que tout doit être fait pour le conserver. Ainsi lisons-nous dans le Traité de Montchrétien que la France « dispose des cinq sources inépuisables de richesse naturelle le bled, le vin, le sel, les laines les toiles » permettant d’entretenir « le nombre infini de ses habitants » 28. Ce thème sera repris par la plupart des économistes français ou britanniques, mercantilistes ou libéraux. Tout pays ayant la capacité naturelle de produire ce dont il a besoin sans obligation d'achat à l'extérieur est donc tenu de le faire. Mais la raison est aussi politique. En effet l'autosuffisance permet à chaque nation de ne pas être dans la dépendance des pays étrangers : « Toute société ne doit point emprunter d’ailleurs ce qui lui tient de nécessaire, car ne le pouvant avoir qu’à la merci d’autrui, elle se rend faible d’autant […] il n’y a que la seule nécessité qui doive contraindre de prendre d’ailleurs ce que l’on n’a point » 29. Nous retrouverons des propos similaires au XIXe siècle (quand par exemple un auteur comme Malthus dénonce les dangers du chacun pour soi) et au XXe siècle 30. Même si l’objectif d’indépendance alimentaire semble relativement partagé par un grand nombre d’auteurs, un débat s’engage sur les moyens d’y parvenir et sur le coût de cette indépendance.
  • 28  Antoine de MONTCHRÉTIEN, Traité de l'Économie politique, réédition Paris, Éditions Plon, 1889, rééd(...)
  • 29  Idem, p. 66.
  • 30  Nous retrouvons de tels propos dans les textes plus contemporains, voir par exemple : Maurice GUERN(...)

L’indépendance alimentaire : par le protectionnisme ou par le libre-échange ?

10Comment assurer l’objectif d’indépendance alimentaire ? Les mercantilistes ont très simplement défendu la thèse de la limitation des échanges avec les autres pays, en particulier la taxation élevée des blés à la sortie du territoire. Cette politique fut d’ailleurs appliquée dans les faits puisqu’en Angleterre les premières corn laws datent du XVe siècle. La politique des Tudors et des Stuarts autorisait l’exportation des blés seulement en période d’abondance, et à condition que les exportations ne créent pas d’augmentation artificielle de prix. C’est la même politique que l’on retrouve en France durant la même période.
11Cette politique est également défendue au XVIIIe siècle puis au XIXe siècle par un certain nombre d’économistes partisans d’une intervention de l’État. Malthus par exemple sera un farouche partisan des corn laws. Il est favorable à l’existence d’une prime de 5 shillings par quarter de blé à l’exportation afin que l’agriculteur soit incité à produire et que le capital disponible puisse s’orienter plus rapidement vers ce secteur. Dans les Grounds, il montre notamment que ce système a effectivement rendu possible une rapide accumulation du capital dans l’agriculture, une augmentation significative de la production, grâce à des prix nettement supérieurs aux prix du continent européen, et donc a permis d’atteindre l’indépendance souhaitée.
  • 31  Sur la théorie du profit chezQuesnay, voir : Gianni VAGGI, « The role of profits in physiocratic e (...)
  • 32  François QUESNAY, « Grains », (économie politique), Ms 1757, dansEncyclopédie, Paris, Briasson, 17 (...)
  • 33  Les fermiers sont gouvernés par des intérêts de produit net plus que par des considérations humanit (...)
  • 34  François QUESNAY, « Hommes », Ms 1757, dans Alfred SAUVY [dir.], François Quesnay et la physiocrati (...)
  • 35  Idem, p. 536.
  • 36  François QUESNAY, « Réponse au mémoire de M. H. sur les avantages de l'industrie et du commerce et(...)
12Les physiocrates vont être les premiers à défendre une solution contraire et très impopulaire. C’est en laissant le commerce céréalier totalement libre que l’on parviendra à l’indépendance alimentaire qu’ils appellent également de leurs vœux. Ils furent d’ailleurs à l’origine des mesures de libéralisation de 1763-1764. Comme par ailleurs selon leur théorie, l’agriculture est le seul secteur producteur de richesses, tout doit être fait pour en favoriser le développement. Le blé n’est plus simplement un bien de subsistance mais d’abord une marchandise dont le prix doit répondre à un impératif de rentabilité 31, tout en permettant de satisfaire les besoins populaires. Or le peuple est plus prompt à revendiquer un pain à bon marché sans souci des conditions de sa production. Pour Quesnay et son école il n’y a pourtant pas contradiction entre cherté et abondance. Les efforts doivent porter sur les conditions de la production et non plus seulement sur les questions de distribution. Ainsi faut-il encourager l’agriculture marchande, favoriser la grande agriculture en fournissant à la terre des capitaux afin d’améliorer sa productivité. C’est le bon prix qui constitue la solution au problème des approvisionnements alimentaires « la non valeur avec l’abondance n’est point richesse, la cherté avec pénurie est misère » 32. Le bon prix doit dédommager le fermier de ses frais de culture. Si le fermier ne récupère pas ses avances, il n’a plus intérêt à produire en vue d’un résultat financièrement négatif 33. Le préjugé du bas prix préférable à toute hausse est en fait une erreur et se retourne contre le peuple lui-même : « On reconnaît la réalité de ces effets destructeurs dans nos provinces où les denrées sont en non-valeur ; Les hommes y vivent à bon marché mais leur salaire est si bas ils gagnent si peu qu’ils ne peuvent se procurer aucune aisance par leur travail […] les propriétaires ont si peu de revenus qu’ils ne peuvent faire les dépenses nécessaires pour améliorer leurs biens pour procurer du travail et des gains convenables aux ouvriers et artisans » 34. Afin de favoriser l’apparition du bon prix, la liberté du commerce doit être totale. En effet le prix se forme « comme le niveau des lacs et des mers qui se communiquent : si dans différents temps l’Océan ne reçoit point de l’eau de la Méditerranée et la Méditerranée n’en reçoit pas de l’Océan, le niveau général des eaux de ces mers n’en est pas moins égal » 35. Même si la liberté devait permettre l’écoulement des excédents à l’extérieur et donc relever le prix payé au producteur, les quantités échangées demeureraient faibles car « plus le commerce extérieur est libre, moins il y a de commerce extérieur » 36. Cette liberté non seulement ne remet pas en cause l’objectif d’indépendance alimentaire auquel les physiocrates tiennent particulièrement mais elle le renforce.
  • 37  La question revient périodiquement sur le devant de la scène. Derrière l'objectif de sécurité et/ou (...)
13En résumé il y a un objectif d’indépendance alimentaire, largement partagé et qui tient en grande partie à la qualité intrinsèque des biens agricoles, soit en tant que biens de subsistance pour les uns, soit en tant que marchandises source unique d’enrichissement pour les autres sans exclure pour autant l’aspect demande, mais les moyens d’atteindre cet objectif sont en totale opposition. Tout en partageant l’idée que la nation doit nourrir son peuple, les physiocrates ont considéré les produits agricoles plus comme un objet de commerce que comme un simple bien de subsistance. Dans une certaine mesure ils ont contribué à orienter la question agricole vers les problèmes de la production 37 et non plus vers ceux de la consommation et de l’approvisionnement des marchés.

De la controverse sur la formation et l’impact des prix agricoles au débat sur la dépendance alimentaire

14Remettre en question l’objectif d’indépendance alimentaire est une démarche plutôt hétérodoxe chez les premiers économistes car cette remise en cause reposerait sur une banalisation des produits agricoles à l’inverse de ce qui a été pensé la plupart du temps. Le premier auteur à avoir retenu cette hypothèse fut Petty. En réalité sa critique de la pensée purement mercantiliste reposait également sur une certaine spécificité des produits agricoles. C’est parce qu’ils ont la double qualité d’être à la fois des biens de consommation et un élément rentrant dans la composition des coûts de production qu’il est possible de défendre l’idée d’une certaine dépendance alimentaire. Pour Petty, le travail est assimilé à une marchandise comme une autre, comme un simple coût de production qui est mesuré par sa subsistance nécessaire à l’entretien du travailleur 38. Comme les coûts doivent être réduits pour faciliter l’exportation de produits manufacturés, il convient de s’approvisionner en produits agricoles dans les meilleures conditions possibles ce qui lui permet d’affirmer que « l’Angleterre aurait alors avantage de jeter par-dessus bord son agriculture, à ne se servir de ses terres que pour faire des jardins, des vergers » 39. L’idée fait son chemin et c’est Ricardo qui au XIXe siècle lui donne un contenu théorique plus solide mais sensiblement différent.
  • 38  Voir AlessandroRONCAGLIAPetty, the origins of political economy, New-York, Sharpe, 1985, 93 p.
  • 39  William PETTY, Political Arithmetick, or a Discourse concerning, the Extend and Value of Lands, Peo (...)
  • 40  David RICARDO, On the Principles of Political Economy, and Taxation, Londres, J. Murray, 1817, repr (...)
  • 41  David Ricardo s’éloigne de l’idée selon laquelle le commerce extérieur peut améliorer la rentabilit (...)
15Ricardo part de l’idée que le pain à bon marché est une nécessité puisqu’il rentre dans la composition du facteur travail de façon tout à fait substantielle. Les produits agricoles représentent ce que Ricardo appelle le bien salaire, si bien que toute hausse du prix du blé a une répercussion sur le prix du travail, et par voie de conséquence, sur la rentabilité de la production c’est-à-dire sur le profit. En 1817 il affirme que « si au lieu de cultiver notre propre blé ou de fabriquer les vêtements ou les autres biens nécessaires aux travailleurs, nous découvrons un nouveau marché qui nous fournit ces marchandises à meilleur compte, les salaires diminueront et les profits augmenteront » 40. Le taux de profit ne dépend que du taux de salaire, et par un approvisionnement moins coûteux, on pourra augmenter les profits 41.
  • 42  L’extension de la production sur des terres de moins en moins fertiles génère au passage une rente (...)
  • 43  Tout en prenant soin de distinguer deux types de progrès, les améliorations « qui augmentent les fa (...)
  • 44  David RICARDO, « An Essay on the Influence of a low Price of Corn on the Profits of Stock; shewing (...)
16La deuxième étape de l’analyse de Ricardo est d’expliquer pourquoi les prix agricoles ont tendance à augmenter, justifiant ainsi au passage la thèse de la dépendance alimentaire. Pour comprendre cette hausse tendancielle des prix agricoles, Ricardo utilise à son tour l’argument de la spécificité de la demande en blé et de la spécificité de l’offre de blé. L’augmentation de la production agricole sous la pression de la croissance de la population nécessite le recours à des terres de fertilité sans cesse inférieure. Sur ces terres, le produit obtenu qui est inférieur à celui obtenu sur les terres plus fertiles contribue au renchérissement des prix agricoles car le prix sera déterminé en fonction des conditions de production obtenues sur les terres les moins fertiles 42. Face à l’existence de ces rendements décroissants, spécifiques à l’agriculture selon lui, le progrès technique est-il capable de ralentir les effets de cette tendance à la hausse des prix agricoles ? À la différence de ce qui se passe dans les autres secteurs productifs le progrès technique s’avère moins efficace 43. Ricardo prend bien soin de distinguer deux types de progrès technique : les améliorations qui augmentent les facultés productives de la terre et celles qui, par le perfectionnement des machines, permettent d’obtenir le même produit avec le même travail. S’agissant de ce dernier, il s’empresse de noter que « le travail productif employé sur cette terre (la terre marginale) ne fournit jamais une reproduction aussi considérable que le même travail employé dans l’industrie » 44. Le recours au progrès technique rencontre donc quelques limites et ne contribue que modestement à la baisse des prix agricoles.
  • 45  David RICARDO, On the Principles of Political Economy…, ouv. cité, p. 385.
  • 46  Ibidem, p. 326 ; voir sur ce point les travaux de : SamuelHOLLANDER, « Ricardo and the corn laws : (...)
  • 47  Thomas MALTHUS, « The Grounds of An Opinion On the Policy of Restricting The importation of Foreign (...)
  • 48  David RICARDO, On the Principles of Political Economy, and Taxation, ouv. cité, p. 405.
  • 49  Voir sur ce point : PaulVIDONNELa formation de la pensée économique. Nature, rente, travail, Par (...)
  • 50  Thomas MALTHUS, « The Grounds of An Opinion… », ouv. cité, p. 154.
17Une deuxième explication de la hausse des prix agricoles tient également au comportement rigide de la demande. Ricardo estime que « si le prix naturel du pain devait baisser de 50 % du fait de quelque découverte importante dans la science de l’agriculture, la demande augmenterait peu, car personne n’en désirerait plus que la quantité satisfaisant ses besoins » 45. Inversement, les prix agricoles pouvant augmenter en raison des conditions de production, la demande ne s’infléchira pas et ne tempérera pas la hausse prévue. Même si le progrès technique demeure pour Ricardo une des solutions permettant de lutter contre la hausse des prix des céréales, la politique la plus crédible pour résoudre le problème du prix des céréales repose sur le recours à l’importation. La dépendance alimentaire prend ainsi tout son sens. Il faut donc supprimer toute prime à l’exportation ou tout droit à l’importation car ces réglementations « ont pour seul effet de détourner une part du capital vers un emploi qui ne serait pas recherché naturellement » 46. Malthus conteste cette analyse car, pour lui, les prix agricoles ont tendance à augmenter structurellement dans la mesure où ils répondent à une logique différente de celle de la plupart des prix des autres produits. Quand il y a excès d’offre de produits manufacturés sur le marché, les prix diminuent. Le cas est différent en agriculture puisque l’abondance de produits agricoles conduit, non pas à une baisse des prix, mais à un maintien voire à une hausse du prix en raison justement de la demande auto-entretenue que les consommateurs expriment : « Si les choses nécessaires à la vie, les produits les plus importants de la terre, n’avaient pas la propriété de créer une demande accrue proportionnée à l’augmentation de leur quantité, cette quantité accrue entraînerait une chute de leur valeur d’échange » 47. L’abondance de l’offre stimule une demande potentiellement très forte et virtuellement présente, exerçant en permanence une pression sur le marché, qui favorise une tension sur les prix. Cette loi est bien entendu repoussée par Ricardo qui inverse la proposition : « Ce n’est pas l’abondance des choses nécessaires qui augmente le nombre de demandeurs mais l’abondance de demandeurs qui conduit à l’augmentation des quantités produites » 48. Pour Malthus renoncer à une production agricole pour cause de prix élevés, c’est renoncer à une rente qui nous est si généreusement octroyée par la nature 49. Si pour Ricardo la rente apparaît liée à l’inégale fertilité des terres et à l’existence de rendements décroissants, pour Malthus elle est considérée comme un pur produit de la nature auquel il serait dommage de renoncer : « Les rentes ne sont ni une pure valeur nominale, ni une valeur transférée inutilement et au préjudice d’une partie de la population au profit d’une autre, mais la plus réelle et la plus importante partie de la valeur totale de la propriété nationale, et placées par les lois de la nature où elles le sont, sur les terres, quelle qu’en soit la possession » 50. On comprend dès lors pourquoi Malthus et Ricardo s’opposent aussi fortement sur la question de l’indépendance et de la dépendance alimentaire.
18Au-delà des arguments économiques qui ont été échangés, restent les arguments plus politiques dont certains nous renvoient aux premières heures du mercantilisme, renforçant l’idée d’un traitement spécifique des questions alimentaires.

Dépendance ou indépendance alimentaire : un problème politique

19Au-delà des raisons économiques et sociales 51 qui furent avancées pour justifier une certaine dépendance alimentaire ou le maintien de l’indépendance alimentaire, les arguments politiques échangés au cours de la première moitié du XIXe siècle apparaissent essentiels, corroborant une nouvelle fois la spécificité du fait alimentaire. Si selon Malthus le commerce libre doit permettre normalement l’approvisionnement d’un marché extérieur sur lequel les agents économiques sont en mesure de payer le blé au prix demandé, l'opinion publique est en mesure de faire pression sur un gouvernement pour interdire ces courants d'échange : « On n'a pas suffisamment prêté attention, lors du débat sur les avantages d'un commerce libre, au fait que les jalousies et les craintes des pays concernant leurs moyens de subsistance, admettront rarement une libre sortie du blé quand il deviendra rare » 52. Si le commerce des céréales devait être libre de toute entrave douanière, le pays devrait s'assurer de l'existence d'une réciprocité dans les pratiques. Le fonctionnement libre du marché, sans aucune intervention étatique, sans la fixation d'un cadre au sein duquel les échanges peuvent s'effectuer en toute sérénité, ne donne pas les garanties suffisantes d'une nécessaire sécurité alimentaire. Malthus constate bien les avantages qu'on pourrait tirer du fonctionnement du marché mais il n'a pas confiance dans les acteurs qui interviennent et/ou modifient les règles.
  • 51  Sur les aspects sociaux, Voir : Samuel HOLLANDER,« Malthus as a physiocrat : surplus versus scarci (...)
  • 52  Thomas MALTHUS, « The Grounds of An Opinion… », ouv. cité, p. 145.
  • 53  William JACOB,Considerations on the protection required by British Agriculture and on the influenc(...)
  • 54  Ibidem, p. 167.
  • 55  Thomas MALTHUS,Observations on the effects of the Corn Laws, and of a rise or fall in the price of (...)
  • 56  Dans David RICARDO,An Essay on the Influence…, ouv. cité, p. 26.
  • 57  Ibidem, p. 26.
  • 58  Ibidem, p. 29.
  • 59  Ibidem, p. 29.
  • 60  Ibidem, p. 31.
20A cette priorité nationale dont serait victime un pays demandeur s'ajoutent les risques liés au maniement de l'arme alimentaire dont l'importance avait été mesurée par les mercantilistes. C'est surtout W. Jacob qui a montré ce danger avec le plus de force dans son ouvrage 53. Imaginant le cas d'une guerre avec les pays fournisseurs, Jacob pose un problème épineux : « Doit-on renoncer à notre dignité simplement parce que l'on craint que ces pays desquels on est dépendant pour notre nourriture, risquent de nous réduire à la famine si nous revendiquons nos droits » 54. Concilier indépendance nationale et sécurité alimentaire nécessite, selon ces auteurs, une indépendance alimentaire quelle qu'en soit le prix. Si cette hypothèse n'est que théorique comme le fait remarquer Malthus dans les Observations, il n'en reste pas moins vrai « qu'aucune expérience n'a déjà été faite de la détresse qui pourrait se produire durant une grande guerre, dans la recherche d'une importante quantité de blé étranger » 55 et que dans l'incertitude, pour ne pas avoir à faire face à ce problème éventuel, mieux vaut éviter de se placer dans une situation jugée trop vulnérable. Ricardo répond point par point 56 aux objections faites par Malthus, estimant qu'un problème peut exister : « Seuls des arguments presque irréfutables sur le danger de dépendre des pays étrangers pour une partie de notre nourriture, […] devraient être avancés pour nous amener à restreindre les importations » 57. Le premier argument d'ordre diplomatique repose sur le comportement tyrannique que pourrait avoir une nation hostile à l'égard du pays qu'elle approvisionne ; c'est l'utilisation de l'arme alimentaire en cas de conflit. Or une telle politique s'avérerait désastreuse pour le pays fournisseur économiquement. Il y aurait surproduction et baisse des prix avec impossibilité de réinvestir sur-le-champ tout le capital dans les autres secteurs. Ricardo en conclut qu'il s'agit : « d'une misère qu'aucun souverain ou union de souverains ne serait prêt à infliger au peuple. Et si tel était le cas, ce serait d'ailleurs une mesure à laquelle aucun peuple ne voudrait se résigner » 58. Le deuxième argument est tout aussi important. Il relève de ce qu'on appelle la préférence nationale : « Si de mauvaises saisons survenaient outre-mer, les pays exportateurs seraient en droit de nous refuser la quantité habituellement exportée, pour pallier à leur propre déficit » 59. Cet argument est certes irréfutable en apparence, or là aussi, l'intérêt pécuniaire passe avant les besoins du pays. Mieux vaut vendre à l'étranger du blé à un prix plus cher et imposer des restrictions à l'intérieur des frontières que de favoriser l'approvisionnement à bon marché pour contenter sa population : « Dans le cas de mauvaises récoltes, le pays exportateur se contenterait de la plus petite quantité possible pour sa propre consommation et saisirait l'avantage représenté par le prix élevé en Angleterre pour y vendre ces excédents ainsi réalisés » 60. Le débat ne fut pas clos au XIXe siècle même si l’abrogation des corn laws en 1846 put donner raison à Ricardo a posteriori. Depuis le débat continue et fait preuve d’ailleurs d’une certaine récurrence 61.
21* * *
22La spécificité de la sphère alimentaire est une caractéristique commune des œuvres majeures et fondatrices de l’économie politique. Elle repose à la fois sur des qualités intrinsèques reconnues aux produits agricoles, sur les comportements des agents économiques à leur égard, notamment en matière d’offre et de demande, sur des analyses de formation des prix et de fonctionnement des marchés originales et inédites. Ce traitement d’exception dans la théorie économique ne débouche pas pour autant sur des interprétations consensuelles mais sur des analyses souvent contradictoires, donnant naissance à des débats théoriques et à des débats de politique économique riches, complexes et stimulant les avancées scientifiques. Ces analyses historiques tendent également à éclairer les fondements des positions contemporaines sur le statut réservé au fait alimentaire, dont la défense n’est pas toujours bien comprise, en particulier par les instances internationales. Ce corpus théorique permet enfin de ne pas oublier sans doute l’essentiel, à savoir que si les produits agricoles sont des marchandises, ils doivent répondre aussi à des besoins vitaux. Sur ce point, la dimension politique du problème ne peut être occultée, y compris aujourd’hui, car elle irrigue toutes les questions contemporaines concernant le problème de la pauvreté massive dans le tiers monde, l’usage de l’arme alimentaire, la nécessaire planification des besoins et de la production pour nourrir la planète.

Notes

1 José BOVÉ, Le monde n'est pas une marchandise : des paysans contre la malbouffe. Entretiens avec Gilles Luneau, Paris, Éditions La Découverte, 2000, 238 p.
2 Ainsi Max WEBERHistoire économique, Paris, Éditions Gallimard, 1991, 431 p., explique que la couverture des besoins alimentaires par le biais du marché capitaliste est très récente dans l’histoire de l’humanité. Karl POLANYI, dans Les systèmes économiques, Paris, Éditions Larousse, 1976, 348 p., fait également remarquer que dans toutes les sociétés dites primitives et antiques les transactions lucratives concernant les produits alimentaires sont totalement bannies, même s’il note dans La grande transformation, Paris, Éditions Gallimard, 1983, 491 p., l’existence de marchés céréaliers plus nombreux dès le XVIe siècle en Europe, leur réglementation étant particulièrement sévère jusqu’au XIXe siècle. Des travaux historiques plus récents ont confirmé cette thèse : Edward P. THOMPSON « L'économie morale de la foule dans l'Angleterre du XVIIIe siècle », dans Florence GAUTHIER et Robert IKNI [dir.], La guerre du blé au XVIIIe siècle, Paris, Les Éditions de la Passion, 1989, pp. 31‑92 ; Steven KAPLAN, Le pain, le peuple et le Roi, Paris, Librairie Académique Perrin, 1986, 461 p. ; Charles TILLY, « Food supply and public order in modern Europe », dans Charles TILLY [dir.]., The formation of national states in western europe, Princeton, Princeton University Press, 1975, pp. 380‑455 ; et Contraintes et capital dans la formation de l'Europe 990‑1990, Paris, Aubier 1992, 431 p.
3 Jean BODIN, Les six livres de la République, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1986 (1ère édition 1576), 6 volumes, volume 6, pp. 411‑503.
4 Ferdinand GALIANIDialogues sur le commerce des bleds, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1984 (1ère édition 1770), 273 p.
5 Ibidem, p. 86.
6 Adam SMITH, The wealth of nations, 1776, dans R.L. MEEK, D.D. RAPHAEL et P.G. STEIN (dir.), The Glasgow Édition of the Works and Correspondence of Adam Smith, Oxford, Oxford University Press, 1976‑1978, 2 volumes, 1080 p., volume 1, p. 96.
7 Jean BODIN, Les six livres de la République, ouv. cité, pp. 455‑456.
8 Le juste prix n’est pas le prix de marché même s’il peut y avoir coïncidence entre les deux. Le juste prix est celui qui doit permettre aux co-échangistes un avantage mutuel. Aucune personne ne doit être lésée dans l’échange, le producteur devra pouvoir vivre convenablement du produit de sa vente, et le consommateur ne devra pas être pénalisé par des prix qui s’écarteraient du juste prix ; voir AndréLAPIDUS, Le détour de la valeur, Paris, Éditions Economica, 1992, 174 p.
9 Jean BODIN, Les six livres de la République, ouv. cité, p. 143.
10 Pierre de BOISGUILBERT, Traité de la nature, culture, commerce et intérêt des grains, tant par rapport au public qu'à toutes les conditions d'un État. Divisé en deux parties. Dont la première fait voir que plus les grains sont à vil prix, plus les pauvres, surtout les ouvriers, sont misérables. Et la seconde, que plus il sort de blés d'un royaume, et plus il se garantit des funestes effets d'une extrême disette, 1707 (manuscrit 1704) ; réédition dans Alfred SAUVY [dir.], Pierre de Boisguilbert ou la naissance de l’économie politique, Paris, Institut national d’études démographiques, 1966, 2 tomes, 1030 p., tome 2, pp. 827‑878 ; Ferdinand GALIANIDialogues sur le commerce des bleds, ouv. cité ; Simon LINGUET,Du commerce des grains, Bruxelles, 1788, 221 p. ; Gabriel MABLY, Du commerce des grains, dansŒuvres complètes de l'Abbé Mably, Paris, l'an III de la République, 15 volumes, volume 13, pp. 242‑298 ; James STEUART, « A Dissertation on the Policy of Grains », Londres, 1759 ; repris dans Works Political, Metaphysical and Chronological of Sir James Steuart, Now First Collected by General Sir James Steuart Bart, his son, from his father Corrected Copies, New york, Augustus Mc Kelley, 1967 (1ère édition 1805), volume 5, pp. 349‑377 ; Jeremy BENTHAM, Manual of political Economy, 1793‑1795 ; réédité dans W. STARK (ed.) Jeremy Bentham's Economic Writtings, critical edition based on his printed works and unprinted manuscripts, Londres, G. Allen & Unwin Ltd, 1952, 3 volumes, volume 2, pp. 219‑273 ; The Pamphlets of Thomas Robert Malthus, New York, Augustus Mc Kelley, 1970, 320 p.
11 Gabriel MABLY, Du commerce des grains, ouv. cité, p. 263.
12 Cantillon sera le premier économiste après Botero à développer cette idée suivie par Smith et par Malthus. Dans la Richesse des Nations Smith écrit ceci : « Comme les hommes, ainsi que tous les autres animaux se multiplient naturellement en proportion des moyens de subsistance, la nourriture est toujours plus ou moins demandée » ; Adam SMITH, The wealth of nations,  ouv. cité, p. 163.
13 Adam SMITH, The wealth of nations, ouv. cité, volume 1, pp. 181‑182.
14 Voir sur ce point : Gilbert FACCARELLOAux origines de l'économie politique : P. de Boisguilbert, Paris, Éditions Anthropos, 1986, 312 p.
15 Adam SMITH, The wealth of nations, ouv cité, volume 1, pp. 526‑527.
16 Voir sur ce point : Hervé DEFALVARD, « Les vues de Boisguilbert sur les marchés », dans HervéDEFALVARD et Roger FRYDMAN [dir.], Formes et sciences du marché,.— Cahiers d'économie politique, n° 20‑21, Paris, Éditions L'Harmattan, 1992, pp. 93‑112.
17 Pierre de BOISGUILBERT, Traité de la nature, culture, commerce et intérêt des grains..., ouv. cité, volume 2, pp. 848‑849.
18 Ibidem, p. 861.
19 Sur la réglementation du fonctionnement des marchés céréaliers, Voir notamment : E. LIPSON,Economic History of England, 3 volumes, Londres, A. & C. Black, 1931 ; Steven KAPLAN, Le pain, le peuple et le Roi, ouv. cité.
20 Pierre Samuel DUPONT de NEMOURSDe l'exportation et de l'importation des grains, Paris, Éditions Guillaumin, 1911 (1ère édition 1764), 128 p.
21 Voir sur ce point : Philippe STEINER, « L’économie politique du royaume agricole », dans Alain BÉRAUD et Gilbert FACCARELLO, [dir.], Nouvelle histoire de la pensée économique, tome 1, Paris, Éditions La Découverte, 1992, 620 p., pp. 232‑233.
22 Adam SMITH, The wealth of nations, ouv cité, volume 1, pp. 15‑16.
23 Gabriel MABLY, Du commerce des grains, ouv. cité, p. 288.
24 Necker doute de cet ajustement prix/salaires, car la loi d’airain des salaires défavorisera toujours les travailleurs qui, du fait de leur position concurrentielle sur le marché, sont contraints d’accepter des salaires leur permettant tout juste de se nourrir ; voir Jacques NECKERSur la législation et le commerce des grains, Paris, 1775, réédité dans Eugène DAIRE et Gustave de MOLINARIMélanges d'économie politique, tome 2, Paris, Éditions Guillaumin, 1847, pp. 211‑360.
25 Gabriel MABLY, Du commerce des grains, ouv. cité, p. 211.
26 Jacques NECKERSur la législation…, ouv. cité, p. 232.
27 Voir notamment : Michael LIPTONWhy poor people stay poor, Londres, Temple Smith, 1977, 353 p. ; Jacques BOURRINET et Maurice FLORY [dir.], L'ordre alimentaire mondial, Paris, Éditions Economica, 1982, 332 p. ; Jacques GIRI, L'Afrique en panne, Paris, Éditions Karthala, 1986, 204 p. ; Sylvie BRUNEL [dir.], Asie-Afrique : greniers vides, greniers pleins, Paris, Éditions Economica, 1986, 192  p. ; Sylvie BRUNEL, « Les problèmes alimentaires dans le monde », dans Cahiers français, n° 278, octobre-décembre 1996, 112 p. ; Georges COURADE et Jacqueline PELTRE-WURTZ [dir.], « La sécurité alimentaire à l'heure du néo-libéralisme », dans Cahiers des sciences humaines, volume 27, n° 1‑2, 1991 ; E. CALVO, et G. COURADE, « Le fait alimentaire : Débat et perspectives », dans Revue Tiers-Monde, tome 23, n° 132, octobre-décembre 1992 ; Thierry GIORDANO et alii, « Sécurité alimentaire, États et marchés internationaux », dans Déméter 97/98, Économie et stratégies agricoles,1997, pp. 129‑190.
28 Antoine de MONTCHRÉTIEN, Traité de l'Économie politique, réédition Paris, Éditions Plon, 1889, réédition Genève, Éditions Droz, 1999 (1ère édition 1615), 456 p., p. 239.
29 Idem, p. 66.
30 Nous retrouvons de tels propos dans les textes plus contemporains, voir par exemple : MauriceGUERNIER, « L'impératif de l'autosuffisance alimentaire », dans Jacques BOURRINET et MauriceFLORYL'ordre alimentaire mondial, ouv. cité ; Bertrand HERVIEUDu droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Paris, Éditions Flammarion, 1996, 133 p. Le discours favorable à l'idée d'indépendance alimentaire devient un point fort dans les débats des années 1970‑1980.
31 Sur la théorie du profit chez Quesnay, voir : Gianni VAGGI, « The role of profits in physiocratic economics », dans History of Political Economy, volume 17, n° 3, 1985, pp. 67‑384.
32 François QUESNAY, « Grains », (économie politique), Ms 1757, dans Encyclopédie, Paris, Briasson, 1751‑1780, volume 7, pp. 821‑831, réédition Paris, Éditions Calman-Levy, 1969, pp. 135‑229 ; citation p. 228.
33 Les fermiers sont gouvernés par des intérêts de produit net plus que par des considérations humanitaires, lesquels intérêts les incitent à investir si les coûts engagés produisent des profits, voir sur ce point : Elisabeth FOX-GENOVESEThe origins of physiocracy — Economic Revolution and social order in Eighteenth-Century France, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1976, 480 p.
34 François QUESNAY, « Hommes », Ms 1757, dans Alfred SAUVY [dir.], François Quesnay et la physiocratie, Paris, Institut national d’études démographiques, 1958, 2 volumes, volume 2, pp. 511‑577, citation p. 530.
35 Idem, p. 536.
36 François QUESNAY, « Réponse au mémoire de M. H. sur les avantages de l'industrie et du commerce et sur la fécondité de la classe prétendue stérile, inséré dans le Journal d'agriculture, commerce et finances du mois de novembre 1765 par l'ami de l'auteur de ce mémoire, ou lettre aux auteurs », dansJournal de l'agriculture, du commerce et des finances, janvier 1766, tome 4, 1ère partie, pp. 4‑37, réédité dans Alfred SAUVY [éd.], François Quesnay et la physiocratie, ouv. cité, pp. 749‑761, citation p. 757.
37 La question revient périodiquement sur le devant de la scène. Derrière l'objectif de sécurité et/ou d'autosuffisance alimentaire, c'est toute la question des facteurs de la production et notamment du rôle des prix agricoles qui resurgit à travers le modèle d'offre encore trop souvent privilégié ; voir EmmanuelCALVO et Georges COURADE, « Le fait alimentaire… », ouv. cité. Le discours libéral voit dans la faiblesse du niveau des prix agricoles la cause de la production insuffisante et donc du niveau insuffisant de consommation des biens alimentaires. L’hypothèse de l'existence d'un lien fort entre prix agricoles et production agricole est réaffirmé par la FAO à laquelle de nombreux auteurs contemporains souscrivent : voir Peter TIMMER et aliiAnalyse de la politique alimentaire, Banque Mondiale, Paris, Éditions Economica, 1986, 364 p. ; Marc PENOUIL, « Pour des stratégies plus réalistes », dans Claude ALBAGLI et Sylvie BRUNEL [dir.], Tiers Mondes : Controverses et réalités, Paris, Éditions Economica, 1987, pp. 426‑436.
38 Voir Alessandro RONCAGLIAPetty, the origins of political economy, New-York, Sharpe, 1985, 93 p.
39 William PETTY, Political Arithmetick, or a Discourse concerning, the Extend and Value of Lands, People Buildings; Husbandry, Manufacture, Commerce, Fishery, Artisans, Seamen, Soldiers; Publick Revenues Interest, Taxes, Superlucration, Registries, Banks, Valuation of Men, Increasing of Seamen, of Mili's Harbours, Situation, Shilling, Power at sea, etc. And the same relates to every country in General, but more particularly to the Territories of His Magesty of Great Bretain, and his Neighbours of Holland, Zealand and France, Londres, R. Clavel and H. Mortlock, 1690, 120 p., repris dans Charles Henry HULL [ed.], William Petty, The Economics Writtings, New York, Augustus Mc Kelley, 1963 (1ère édition 1899), volume 1, pp. 232‑313 ; citation p. 268.
40 David RICARDO, On the Principles of Political Economy, and Taxation, Londres, J. Murray, 1817, repris dans Piero STRAFFA et Maurice Herbert DOBB [ed.], The works and correspondence of David Ricardo, Cambridge, Cambridge University Press, 1951‑1973, 11 volumes, volume 1, 447 p. ; citation p. 132.
41 David Ricardo s’éloigne de l’idée selon laquelle le commerce extérieur peut améliorer la rentabilité en offrant de nouveaux débouchés à l’industrie nationale et en ce sens il prend définitivement ses distances à l’égard de l’analyse de Petty puis de celle de Smith. Sur cette question il va s’opposer àMalthus qui refuse de considérer que le prix de la nourriture, et du blé en particulier, ait une détermination fondamentale sur le prix du travail et donc sur le prix des biens. Ce dernier pense par ailleurs qu’un pain à bon marché n’est pas forcément une bonne chose pour le peuple, car ce n’est pas le prix du blé qui doit être pris en compte, mais la valeur réelle d’échange du travail et son pouvoir de commander les subsistances.
42 L’extension de la production sur des terres de moins en moins fertiles génère au passage une rente qui va directement dans la poche des propriétaires fonciers, peu enclins donc à libéraliser les échanges avec l’extérieur.
43 Tout en prenant soin de distinguer deux types de progrès, les améliorations « qui augmentent les facultés productives de la terre et celles qui, par le perfectionnement des machines, nous permettent d’obtenir le même produit avec moins de travail », Ricardo montre que ces progrès sont susceptibles de faire baisser les prix. Les premières, économes en terre, correspondent à des améliorations comme les rotations de culture, les secondes, économes en travail, correspondent à des innovations en capital comme l’introduction de nouveaux équipements.
44 David RICARDO, « An Essay on the Influence of a low Price of Corn on the Profits of Stock; shewing the inexpediency of Restrictions on importation: with Remarks on Mr Malthus two last publications: "An inquiry into the Nature and Progress of Rent"; and "The grounds of an Opinion on the Policy of restricting the Importation of Foreign Corn" », Londres, J. Murray, 1815, repris dans Piero STRAFFA et Maurice Herbert DOBB [ed.], The works and correspondence of David Ricardo, ouv. cité, vol. 4, pp. 1‑41 ; citation p. 33.
45 David RICARDO, On the Principles of Political Economy…, ouv. cité, p. 385.
46 Ibidem, p. 326 ; voir sur ce point les travaux de : Samuel HOLLANDER, « Ricardo and the corn laws : a revision », dans History of Political Economy, volume 9, n° 1, 1977, pp. 1‑47.
47 Thomas MALTHUS, « The Grounds of An Opinion On the Policy of Restricting The importation of Foreign Corn ; Intended As An Appendix to Observations on The Corn Laws », Londres, J. Murray & J. Johnson and Co, 1815, repris dans The Pamphlets of Thomas Robert Malthus, New York, Augustus Mc Kelley, 1970, pp. 137‑173, ouv. cité, p. 155.
48 David RICARDO, On the Principles of Political Economy, and Taxation, ouv. cité, p. 405.
49 Voir sur ce point : Paul VIDONNELa formation de la pensée économique. Nature, rente, travail, Paris, Éditions Économica, 1986, 268 p.
50 Thomas MALTHUS, « The Grounds of An Opinion… », ouv. cité, p. 154.
51 Sur les aspects sociaux, Voir : Samuel HOLLANDER, « Malthus as a physiocrat : surplus versus scarcity », dans Économie et société, n° 1‑2, 1995, pp. 79‑116.
52 Thomas MALTHUS, « The Grounds of An Opinion… », ouv. cité, p. 145.
53 William JACOBConsiderations on the protection required by British Agriculture and on the influence of the price of corn on Exportable Productions, Londres, J. Johnson & Co, 1814, 195 p.
54 Ibidem, p. 167.
55 Thomas MALTHUSObservations on the effects of the Corn Laws, and of a rise or fall in the price of corn on the agriculture and general wealth of the country, Londres, J. Johnson, 1814, pp. 44 ; repris dans The Pamphlets of Thomas Robert Malthus, ouv. cité, pp. 95‑131 ; citation p. 117.
56 Dans David RICARDO, An Essay on the Influence…, ouv. cité, p. 26.
57 Ibidem, p. 26.
58 Ibidem, p. 29.
59 Ibidem, p. 29.
60 Ibidem, p. 31.
61 Vers le milieu des années 1970 la référence au développement autocentré devient de plus en plus fréquente dans les discours des leaders du tiers monde avec comme corollaire : la recherche de l'autosuffisance alimentaire ; le Conseil mondial de l'alimentation en 1979, la Communauté européenne avec le plan Pisani, la FAO en 1982, apportent leurs concours à la mise en œuvre de ces stratégies : « Chaque peuple, ou mieux chaque région, doit produire l'essentiel de sa nourriture quotidienne » ; « on ne peut souffrir le maintien des pays dans la dépendance à l'égard de quelqu'un » note P. Uri, auteur d'un rapport de la Communauté européenne sur le sujet. La même remarque est faite par le groupe de la déclaration de Rome : « Dans des pays à forte majorité paysanne, aucune solution ne peut assurer la satisfaction des besoins minimum de tous si elle ne cherche à établir le contrôle du plus grand nombre sur la production et la distribution, si elle ne rétablit le lien entre l'acte de produire et celui de se nourrir » ; voir Jacques BERTHELOT et François de RAVIGNAN [dir.], Les sillons de la faim, Paris, Éditions L’Harmattan, 1980, 219 p., pp. 42‑43. Des arguments politiques sont encore avancés dans « Famines et pénuries », dans Revue tricontinentale, 1982 : « l'interdépendance des nations est gravement conflictuelle, puisque les intérêts nationaux sont concurrents, contradictoires et parfois antagoniques », et ceci doit appeler forcément à une autosuffisance alimentaire ; Jacques CHONCHOL, Le défi alimentaire, la faim dans le monde, Paris, Éditions Larousse, 1987, 272 p., intègre cette recherche de l'indépendance dans le cadre de stratégies alimentaires complètes (production mais aussi conservation, distribution et amélioration des niveaux de vie) ; Bertrand Hervieu parle d'ordre alimentaire mondial fondé sur le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes donnant priorité à la construction d'ensembles régionaux sur le marché mondial. Même si d'un point de vue purement technique une partie du globe peut nourrir l'autre, cette rationalité est fictive car elle revient à priver de sens l'activité et la vie même de ces immenses populations paysannes du sud et de l'est qu'il est impossible de convertir à d'autres activités économiques. Si le discours favorable à l'idée d'indépendance alimentaire devient un point fort dans les débats des années1970‑1980, un nouveau discours libéral commenceHaut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Alain Clément, « La spécificité du fait alimentaire dans la théorie économique. Les fondements historiques et les enjeux », Ruralia [En ligne], 07 | 2000, mis en ligne le 22 janvier 2005, consulté le 18 janvier 2012. URL : http://ruralia.revues.org/178



Présentation
Ruralia est la revue de l’Association des ruralistes français et du Laboratoire d'études rurales (Université de Lyon). Pluridisciplinaire, elle a pour but de favoriser la recherche et les échanges scientifiques tant nationaux qu’internationaux dans le domaine des sociétés rurales contemporaines (19e-21e siècles). Elle se propose en outre d’encourager le développement de ses activités par une décentralisation active en multipliant les contacts entre spécialistes des recherches sociales et les rapports avec ceux des domaines voisins, les praticiens, les services et organismes intéressés.

dernier numéro en ligne
21 | 2007
Varia

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